Archives par étiquette : médias

Facts et Fake : comment les Européens s’informent ou se désinforment sur l’UE ?

Résultats d’une enquête menée auprès de 300 personnes provenant de cinq pays européens par Paulina Fröhlich, Sophie Borkel et Christian Mieß, qui ont cherché à comprendre d’où les citoyens européens tirent leurs informations sur l’Union européenne ainsi que les sources de désinformation auxquelles ils sont exposés. L’objectif était de mettre en lumière les médias et les canaux de communication les plus utilisés, ainsi que les mécanismes qui conduisent à la propagation des fausses informations.

L’information sur l’UE se présente de manière occasionnelle

Interrogées sur les sources à partir desquelles les participants obtiennent leurs informations sur l’UE, la plupart mentionnent divers médias, mais aussi des conversations privées ainsi que des échanges avec des collègues. De manière frappante, mais sans surprise, ce sont les participants plus jeunes qui ont tendance à indiquer les médias sociaux et/ou les médias en ligne comme leurs principales sources d’information.

Les bibliothèques, les brochures, les conférences ou les événements d’information sont également mentionnés de manière occasionnelle. En plus de ceux mentionnés, il y a cependant des personnes qui soulignent qu’elles ne s’informent pas du tout. Plusieurs personnes mentionnent avoir délibérément décidé de ne pas avoir d’abonnement à la télévision ou aux journaux.

Ceux qui se considèrent comme étant activement impliqués et politiquement informés utilisent plus souvent des podcasts, des newsletters et d’autres supports d’information (médias à la demande) en plus des journaux et de la télévision (médias classiques) pour se forger une opinion sur l’UE que ceux qui se disent plus éloignés de la politique. Ces derniers ont tendance à se limiter à la télévision et aux médias sur Internet et, s’ils sont plus jeunes, aux médias sociaux tels qu’Instagram et surtout Facebook.

Ce qui ressort particulièrement de cette discussion, c’est que la plupart des participants ont démontré un niveau élevé de compétence médiatique en ce sens que, quel que soit le canal utilisé, ils ont toujours examiné de manière critique les sources et les ont comparées à des informations de seconde et de troisième main. Dans certains cas isolés, la perception du contenu médiatique apparaît déjà sceptique et fondamentalement méfiante.

La réceptivité aux fausses informations s’explique de différentes manières

La plupart des participants sont conscients de la désinformation. Cependant, seulement après y avoir réfléchi un moment. La source de fausses informations la plus fréquemment mentionnée dont ils ont conscience est la chaîne de télévision Russia Today (RT). Les participants la décrivent comme de plus en plus difficile à identifier en tant que fausses informations, surtout lorsqu’elles apparaissent sur les médias sociaux.

Ils attribuent généralement plus de fausses informations aux médias sociaux qu’à la presse écrite ou aux chaînes de télévision, par exemple. Le manque de citations de source émane pour eux d’un manque de sérieux. Tous les participants n’ont pas encore rencontré consciemment de désinformation. S’ils l’ont fait, ils l’ont rencontrée parmi des connaissances ou des amis (des liens vers des blogs ou des vidéos douteux ont été transmis par message), ou ils entendent des rapports sur les fausses informations provenant des médias de confiance.

L’exemple le plus courant ici concerne les fausses informations sur le coronavirus. Les participants des groupes de discussion soulignent qu’ils considéraient les « fausses informations évidentes », telles que l’affirmation selon laquelle les produits laitiers protégeraient contre le virus, comme moins dangereuses que les informations dont la véracité était plus difficile à déterminer. Avant même que des cercles sociaux d’extrême droite ne soient soupçonnés de fausses informations, d’autres pays étaient suspectés d’en être les acteurs.

De plus, les tentatives d’expliquer pourquoi les citoyens ont tendance à croire les récits alternatifs ou les fausses informations étaient très remarquables. Il existe ici des différences nettes entre les participants qui s’informent activement sur les événements politiques et participent également politiquement, et ceux qui s’intéressent aux événements politiques en marge et ont également tendance à ne pas participer en général : tandis que le premier groupe tend à chercher les raisons dans des facteurs socio-économiques (éducation, position économique, âge), le second groupe voit les raisons davantage dans la recherche de cohésion et de solidarité des personnes. Dans le même temps, les citoyens prétendument non mobilisés expriment une grande compréhension pour cette façon de recevoir des informations. On a soutenu que, de manière similaire à une communauté religieuse, les gens cherchaient la sécurité dans un monde complexe.

En conclusion, l’enquête révèle que les Européens s’informent sur l’UE à travers une variété de sources, allant des médias traditionnels aux médias sociaux et aux conversations privées. Les médias en ligne et les réseaux sociaux ont gagné en importance, surtout parmi les jeunes générations, tandis que certains participants ont exprimé leur volonté de s’éloigner des médias traditionnels en optant pour des sources plus sélectives, telles que les podcasts et les newsletters.

Parallèlement, la sensibilisation à la désinformation est présente, bien que souvent après réflexion. Les participants identifient les médias sociaux comme étant une source fréquente de fausses informations, soulignant la difficulté de distinguer la vérité de la manipulation en ligne. Les résultats montrent également des différences dans la réception de ces informations entre les citoyens politiquement engagés et ceux qui se tiennent à l’écart de la politique, avec des explications allant de facteurs socio-économiques à la recherche de cohésion sociale.

Il est encourageant de constater que la plupart des participants ont démontré une compétence médiatique élevée, en examinant de manière critique les sources et en comparant les informations. Cependant, la persistance de la désinformation et la propagation de fausses informations soulignent la nécessité de renforcer l’éducation aux médias et la capacité des individus à discerner les informations fiables des tromperies.

Pour promouvoir une société bien informée et résiliente, il est essentiel de continuer à encourager la vérification des sources, le questionnement des informations et la recherche de diverses perspectives. Les médias, les plateformes en ligne et les institutions politiques ont un rôle crucial à jouer pour fournir des informations crédibles et combattre la désinformation. En outre, une coopération internationale visant à contrer les campagnes de désinformation et à promouvoir la transparence peut contribuer à renforcer la confiance des citoyens dans l’information qu’ils reçoivent.

En comprenant mieux les schémas d’information et de désinformation, il est possible de développer des stratégies efficaces pour promouvoir une culture de l’information basée sur des faits et pour contrer les effets néfastes de la désinformation sur la société et la démocratie.

Quelles « narrations européennes » les Européens désirent-ils ?

Une étude menée par Paulina Fröhlich, Sophie Borkel et Christian Mieß, ayant interrogé 300 personnes provenant de cinq pays européens dans le but de comprendre comment les citoyens perçoivent l’Union européenne. Quels sont les sentiments des participants quant à la réalisation des objectifs fondamentaux de l’UE ?

Une promesse de longue date, mais pas pour tous : la paix réalisée uniquement en interne, la prospérité réservée à certains

La paix et la prospérité font partie de la mission fondatrice de l’Union européenne. La grande majorité conviennent que l’UE a effectivement assuré la paix et la prospérité. On pourrait parler ici d’un récit européen réussi.

Bien que l’Union ait assuré la paix entre ses pays membres, son succès dans la contribution à la paix dans d’autres parties du monde est qualifié de très modeste. Dans certains cas, des conflits ou des guerres sont explicitement mentionnés, mais dans l’ensemble, la réalisation fondamentale d’une coexistence pacifique est soulignée avec gratitude.

Cependant, l’idéal de paix et de conditions de vie pacifiées ne peut pas se limiter aux frontières de l’UE. Les valeurs universelles et les objectifs de l’UE doivent également être un mandat pour ses relations extérieures.

Malgré tout, les participants ont plus de mal à décrire la réalisation de l’objectif de prospérité. Bien qu’ils reconnaissent que l’UE est dans une large mesure une communauté prospère, ils soulignent toujours la répartition inégale de la prospérité, en particulier la différence entre les pays. Certains pensent que le mécontentement économique (et l’inégalité) est la principale raison de l’euroscepticisme.

La liberté de circulation et l’État de droit : seulement avec des limitations

Interrogés sur leurs premières associations avec l’Union européenne, la grande majorité mentionne la liberté de circulation, les voyages et les frontières ouvertes en premier lieu. L’euro, la bureaucratie et un système de valeurs communes ne sont mentionnés que par quelques-uns. De nombreuses autres associations (langues, diversité, BCE, drapeau, opportunités, processus difficiles, etc.) montrent que les idées sur l’Europe sont très variées.

L’UE en tant que communauté de valeurs revient fréquemment dans les discussions. Cependant, certains participants doutent que l’Union mérite d’être associée à ces valeurs. Par exemple, le traitement des réfugiés aux frontières extérieures de l’UE est mentionné comme un point de critique. Les préoccupations concernant les valeurs européennes telles que l’État de droit et les droits de l’homme sont également fréquentes, en particulier en Pologne et en Hongrie. La situation critique est considérée comme un défi européen et n’est pas envisagée de manière détachée au niveau national.

Certains aimeraient voir la République européenne, tandis que d’autres ont encore besoin d’informations de base sur l’UE

Ce qui est frappant, c’est que, tant dans toutes les associations que dans les attentes formulées pour une future Union, les principales crises sont à peine mentionnées. Ni la crise financière ni la crise climatique ne semblent façonner explicitement l’opinion actuelle ou future des citoyens sur l’image de l’Union européenne. Certes, la nécessité de la protection du climat ou le rôle des politiques fiscales sont discutés, mais pas de manière significative.

À la place, différentes perspectives sur la capacité d’action de l’UE et sur son ambition d’agir sont vivement débattues. Alors que de nombreux participants aimeraient voir une UE plus active, d’autres considèrent la lenteur européenne comme excessive. Ils aimeraient donc voir plus de souveraineté nationale. La question du soutien ou du rejet de l’idée de l’aspiration à une république européenne est exemplaire de ces discussions :

« Bien sûr, beaucoup de temps a été perdu, mais à mes yeux, il n’est pas encore trop tard. (…) Il faut aller de l’avant et créer des visions et essayer de les poursuivre, afin de pouvoir accomplir quelque chose. Si je disais dès le départ ‘je ne peux pas le faire’, ce n’est pas possible. »

« Je ne veux pas d’un gigantesque super-État. Je veux que ça [l’UE] fonctionne, et c’est pourquoi, franchement, je voudrais dire au revoir à des idées irréalistes. Qui, après tout, vise à avoir quelque chose comme 400 ou 450 millions de personnes vivant dans un État à un moment donné, où je me demande : où est la démocratie là-dedans ? »

D’autres attentes exprimées à l’égard de l’UE comprennent le désir de recevoir plus d’informations. Soit les participants à l’entretien ont l’impression que la majorité de la population en sait trop peu sur les réalisations de l’UE, soit ils admettent qu’ils en savent personnellement trop peu pour se sentir liés à l’Union.

De plus, le thème de la solidarité donne lieu à des échanges animés dans les groupes, souvent discuté de manière très exemplaire, sur la base des événements de la soi-disant crise des réfugiés de 2015. D’autres attentes de l’UE sont parfois très concrètes – comme celles d’avoir plus de lois contre la discrimination. En particulier, il est discuté du fait que l’égalité entre les femmes et les hommes est encore loin d’atteindre un niveau satisfaisant dans toute l’Europe.

Un récit de justice

Les souhaits concrets des participants pour l’Europe sont nombreux. Cependant, on observe une fréquence marquée dans le désir de plus de justice et plus spécifiquement, d’un engagement commun en faveur des questions de politique sociale. Selon les mots d’un participant, l’Europe devrait être un « foyer basé sur la solidarité ».

Parmi les énumérations, on trouve par exemple le désir d’efforts communs dans la lutte contre la pauvreté, le chômage des jeunes et plus de cohésion, notamment entre l’Europe occidentale et l’Europe orientale. Après, comme expliqué précédemment, le récit de la paix et de la prospérité a longtemps prévalu, on pourrait supposer que de nombreuses personnes souhaitent maintenant un récit de justice.

Le désir de possibilités de co-création a également été mentionné. Un grand nombre de personnes ont souligné qu’elles aimeraient voir plus de formats comme ces tables rondes, mais aussi des outils participatifs de l’Union européenne elle-même. La conférence sur l’avenir de l’Europe a été mentionnée de manière remarquablement rare, ce qui suggère qu’elle n’est pas largement connue parmi les participants.

Au total, il existe un grand désir d’échanges sur les questions européennes. Surtout parmi ceux qui ont très rarement participé à des formats comparables, déclarent qu’ils en savent peu sur le sujet, mais qu’ils sont très intéressés. Les différences dans le niveau d’information sur l’Union européenne (ses sujets, son fonctionnement, ses institutions et ses territoires) sont frappantes. Cependant, le degré d’information a peu à voir avec la sympathie ou l’antipathie à l’égard de l’UE.

Les avantages de l’Union perçus comme particulièrement personnels, tels que la liberté de voyager, ont été difficilement vécus récemment en raison des restrictions liées au coronavirus. Il est donc certainement nécessaire de rattraper le retard afin de rendre l’UE à nouveau une expérience positive dans la vie quotidienne. Le sujet qui a été le plus clairement exprimé par presque tous les participants dans le contexte européen est : la justice. Un grand mot, que l’UE ne pourra adopter comme un grand récit nouveau que si les résultats de cette revendication audacieuse sont également visibles dans la politique quotidienne.

Les participants expriment un vif intérêt pour les questions européennes et une volonté de participer à des échanges sur l’avenir de l’UE. La liberté de circulation, autrefois perçue comme un avantage majeur de l’UE, a été mise à l’épreuve par les restrictions liées à la pandémie de coronavirus. Afin de restaurer une expérience positive de l’UE dans la vie quotidienne, il est nécessaire de combler les lacunes en termes d’informations sur l’UE et de renforcer la dimension de justice au sein de l’Union. La demande d’une politique sociale plus solidaire et la lutte contre les inégalités sociales et économiques semblent occuper une place centrale dans les aspirations des participants. Pour que l’UE puisse adopter un récit fort basé sur la justice, il est crucial que les revendications audacieuses se traduisent par des actions concrètes et visibles dans la politique européenne quotidienne.

CaféBabel, Euractiv : transformations dans la sphère des médias européens

Avec une certaine concordance des temps qui n’est certainement pas fortuite, deux médias européens, à la fois précurseurs en leur temps et dorénavant ancêtres parmi les médias européens, dont le modèle s’est longtemps cherché et toujours trouvé dans la difficulté, sont en train de se transformer. De quoi s’agit-il ?

CaféBabel : du journalisme participatif de la génération Erasmus à l’âge adulte européen

Après plus de 20 ans d’existence, une éternité dans le monde des médias européens, CaféBabel, le média participatif multilingue de la génération Erasmus tire sa révérence. CaféBabel, c’est la quintessence d’un moment de la construction européenne et de l’époque médiatique, celle d’une expression autant personnelle que générationnelle, d’un idéal, d’un mode de vie, d’un projet de société, où l’Europe est d’abord vécue, éprouvée, puis transmise par les émotions, les expériences et les collectifs.

CaféBabel, c’était en somme, les voix d’une génération de jeunes Européens qui poursuivaient les voies d’une intégration intime à l’Europe.

Pourquoi évoluer ? Parce que l’évolution des publics doit être prise en compte, au travers de nouvelles attentes vis-à-vis de la construction européenne, à la fois plus stratégique en matière d’autonomie et plus terre-à-terre en termes de politiques publiques européennes. Ces nouvelles relations à l’Europe induisent de nouvelles pratiques de journalisme européen.

Sphera Network structure et professionnalise la démarche de CaféBabel en visant à remodeler les collaborations journalistiques européennes et en se positionnant comme « le premier réseau européen de médias indépendants et alternatifs de petite et moyenne taille ».

Ereb, qui se présente comme « a community-based cross-border media », vise à repenser la manière de réaliser du journalisme transfrontalier avec des nouvelles formes de récits, de photo journalismes, de vidéo reportages, pour « raconter l’intimité de l’Europe depuis le terrain ».

Euractiv : de l’indépendance pionnière à l’entrisme inspirateur

Euractiv, là encore un média indépendant emblématique de la séquence d’intensification de la construction européenne entre élargissements et approfondissements, tente une forme de synthèse entre l’intention de couvrir l’actualité de l’UE à travers un modèle de journalisme sui generis complexe tout à la fois très expert mais pédagogique, assez neutre mais délibérément pro-européen, ouvert aux subventions publiques mais pas anti-business.

Euractiv, c’était en somme l’ambition de créer une forme de journalisme qui tente un fond de compromis à l’image de l’Europe.

Pourquoi évoluer ? Sans doute, pour reprendre le proverbe africain « Si tu veux aller vite, marche seul mais si tu veux aller loin, marchons ensemble. » Surtout, parce que l’évolution des moyens (les ressources, les datas, les IA) réinterrogent la possibilité d’une île, la capacité à rester à la fois indépendant et pertinent dans un paysage médiatique en constante transformation.

Selon le communiqué, l’annonce se verbalise de la manière suivante : « le groupe de médias européen Mediahuis a acquis EURACTIV, la marque d’information paneuropéenne, axée sur la politique de l’UE (…) le réseau de médias EURACTIV bénéficiera de l’envergure d’un groupe de médias international, ce qui lui permettra de devenir LE média de référence en matière de politique européenne ».

De nouvelles marques de fabrique de l’information européenne

Tant les transformations de CaféBabel que d’Euractiv – inévitables tôt ou tard – sont révélatrices de plusieurs dimensions :

Évidemment, le « succès » au sens de capacité à survivre et se développer de ces modèles doit beaucoup à l’investissement hors-du-commun des individus engagés, acteurs de premier plan, personnalités qui ont fait vivre ces projets.

Surtout, Euractiv et CaféBabel, avec le recul, apparaissent comme des marques de fabrique de l’information européenne, qui racontent de manière originale et inédite, avec une certaine maturité et un professionnalisme certain, l’Europe d’aujourd’hui et de demain.

De médias européens précurseurs, CaféBabel et Euractiv se projettent en champions des médias européens.

Euronews, la petite chaine européenne qui baisse

Alors qu’Euronews fête ses 30 ans cette année, la crise que traverse la chaîne TV d’information en continu est en crise, grave…

Les origines de la CNN à l’européenne

Invité mardi 21 mars dans l’émission Le Déclic Médias de Marie Vancutsem, sur la RTBF, La Première à discuter du sujet du jour « La chaine européenne Euronews annonce un grand plan de restructuration », Lacomeuropéenne décrypte les enjeux.

Impressionnés par la couverture live de CNN avec des journalistes « embedded » lors de la guerre du Golfe, les Européens se décident à lancer leur propre chaîne d’information en continu en 1993.

Avec une vingtaine de chaînes de télévision publique comme financeurs, l’ambition est d’être la chaîne généraliste d’information européenne à destination du grand public, dotée d’une exigence éditoriale et d’une rédaction multilingue. La France soutient le projet et la chaîne installe son siège à Lyon.

Le temps des turpitudes qui s’accélèrent

Les transformations du secteur de l’information, avec le développement du web, l’explosion des réseaux sociaux et la multiplication des chaînes thématiques accélèrent la concurrence en termes de temps de cerveau disponible chez des Européens bombardés par des offres toujours plus riches et diverses. Euronews tente comme tous les autres d’évoluer.

Le soutien de l’Union européenne qui lâche

Parmi les chocs, il faut hélas le noter, le soutien – jusqu’alors sans faille de l’Union européenne au projet – se délite :

D’une part, sous le mandat de Viviane Reding, Commissaire en charge de la communication, le modèle de financement fragilise la chaîne puisque dorénavant ce sont des projets sur commande qui conditionnent les financements à des formats de production sous la forme de publi-reportages qui nient l’indépendance éditoriale de la rédaction.

D’autre part, plus récemment, alors que les financements octroyés par la Commission européenne était passé des mains de la DG Communication à la DG Connect, chargée des questions numériques, la baisse des financements est lourde, rapide et brutale.

Alors que les financements européens se maintenaient, songeons aux années électorales européennes de 2014 à 24 millions d’euros et 2019 à 25 millions d’euros, la réduction commence dès 2020 avec 2 millions d’euros de baisse et se poursuit à partir de 2021 où les financements sont divisés par 4 pour se limiter à 6 millions d’euros ; c’est l’année du renouvellement d’un contrat pour 3 ans en juillet 2021.

Les chaînes publiques qui capitulent

L’Union Européenne de Radio-Télévision, organisme rassemblant les grandes chaînes publiques européennes de télévision, de France Télévision à la ZDF allemande, en passant par la BBC, a également peu à peu abandonné Euronews. Les financements en 2013 correspondent à 42 millions d’euros, une somme tombée à 20 millions en 2023, pour descendre encore à 13 millions annoncés pour 2024.

L’actionnaire principal qui craque

La chaine déjà fragilisée est reprise par un fonds d’investissement portugais Alpac Capital en juillet 2022. Cette année, avec une dette de 150 millions d’euros, un nouveau projet est dévoilé, c’est un profond plan de restructuration, qui suscite une grève des personnels. Le plan de licenciement concerne 197 journalistes expérimentés, soit les deux-tiers de la rédaction sur la sellette et toutes les chevilles ouvrières dans toutes les nationalités couvertes au fur et à mesure des années.

Le futur projet qui inquiète

Outre les licenciements massifs, le projet dévoilé comprend également la vente du siège social historique à Lyon, en vue d’installer une nouvelle équipe, fraîchement recrutée avec des candidats plus jeunes à Bruxelles, complété par quelques bureaux dans quelques capitales européennes, un downsizing dans les grandes largeurs.

Au total, c’est l’ambition d’une chaîne publique d’information en continu ouverte sur les sociétés européennes qui disparaît au profit d’une vision plus limitée à la sphère bruxelloise d’une information plus institutionnelle et financée par des publi-reportages représentant à l’antenne des intérêts privés.

Guerres informationnelles : manipulations d’informations étrangères et menaces d’interférences

Première édition du rapport sur les menaces de manipulation d’informations étrangères et d’interférences grâce aux travaux de la division Stratcom du Service européen pour l’action extérieure, un projet pilote appliquant un nouveau cadre, basé sur les meilleures pratiques autour d’un premier échantillon de 100 incidents détectés et analysés entre octobre et décembre 2022…

Principaux résultats

L’invasion à grande échelle de l’Ukraine par la Russie domine l’activité observée des manipulations et menaces. L’Ukraine est la cible directe de 33 incidents et dans 60 incidents, le soutien à l’invasion était la principale motivation de l’attaque.

Les voies diplomatiques font partie intégrante des incidents : les canaux diplomatiques russes servent régulièrement de facilitateurs aux opérations de manipulations et menaces, déployés sur un large éventail de sujets. La Chine utilise également les canaux diplomatiques, ciblant principalement les États-Unis.

La collusion des acteurs existe mais demeure limitée : des acteurs officiels russes ont été impliqués dans 88 incidents analysés tandis que des acteurs chinois le sont dans 17 cas ; dans au moins 5 cas, les deux acteurs russes et chinois se sont engagés conjointement.

Les incidents ne se produisent pas dans une seule langue : le contenu est traduit et amplifié en plusieurs langues. Les incidents concernent au moins 30 langues, dont 16 sont des langues de l’UE. La Russie utilise une plus grande variété de langues que les acteurs chinois, mais 44 % du contenu russe cible les populations russophones, tandis que 36 % ciblent les populations anglophones.

Tactiques et techniques de manipulations d’informations et de menaces d’interférences

Les objectifs présumés sont principalement destinés à distraire et à déformer : la Russie (42 %) et la Chine (56 %) ont principalement l’intention d’attirer l’attention sur un acteur ou un récit différent ou de rejeter le blâme (« distraire »). La Russie tente de modifier le cadrage et le récit (« déformer ») relativement plus souvent (35 %) que la Chine (18 %).

Parmi les 10 combinaisons de tactiques et de techniques, le développement de contenus à base d’images et à base de vidéos, faciles et peu coûteux, sont les deux techniques les plus récurrentes employées :

  • Des contenus fabriqués à partir d’images et de vidéos sont utilisés pour dégrader l’image ou la capacité d’action des adversaires et pour discréditer des sources crédibles ;
  • Les voies diplomatiques officielles sont utilisées pour discréditer des sources crédibles, pour fournir du contenu à base d’images et de texte, déformer les faits en recadrant le contexte des événements, et dégrader les adversaires ;
  • Dans le cas de la Russie, une raison possible de l’utilisation accrue des comptes diplomatiques pourrait être une conséquence des chaînes contrôlées par l’État russe avec une large portée autrefois sanctionnées dans l’UE ;
  • Les contenus fabriqués à base d’images et de vidéos ont été distribués sur plusieurs plates-formes afin de maximiser l’exposition du contenu.

Techniques d’usurpation d’identité et victimes

Les techniques d’usurpation d’identité deviennent plus sophistiquées. Les usurpations d’identité d’organisations et d’individus internationaux et de confiance sont utilisées par des acteurs russes, en particulier pour cibler l’Ukraine. La presse écrite et la télévision sont le plus souvent usurpées, les magazines voyant tout leur style copié.

Un bref examen des cas dans lesquels la Russie s’est fait passer pour des entités légitimes et de confiance montre que personne n’est à l’abri de voir son identité ou sa marque utilisée à mauvais escient. Les acteurs de la menace utilisent l’usurpation d’identité pour ajouter de la légitimité à leurs messages et pour atteindre et affecter des publics familiers avec les entités usurpées et qui leur font confiance. Six incidents ont utilisé des cas d’usurpation d’identité. Tous liés à l’invasion russe de l’Ukraine. Les médias étaient les entités les plus souvent usurpées. Lors de quatre incidents, de fausses pages de couverture imitant le style visuel des magazines satiriques européens, notamment Charlie Hebdo. De plus, deux vidéos ont imité des médias internationaux (Aljazeera et Euronews).

Narratifs

Le récit le plus courant parmi les incidents analysés était « l’Occident est l’agresseur envers la Russie » qui comprend des messages qui dépeignent l’Occident comme étant antagoniste envers la Russie, poussant l’Ukraine à la guerre, provoquant et profitant de la guerre, exécutant mobilisation militaire et implication dans des actions qui attisent les tensions entre l’Ukraine et la Russie. Ce récit a été observé dans 17 incidents.

Le récit « L’Ukraine est l’agresseur envers la Russie » a été observé dans 15 incidents. Ce récit dépeint faussement l’Ukraine comme celle qui a provoqué et voulu la guerre, commis des atrocités, des crimes de guerre et un génocide, et déployé ou planifié de déployer des attaques chimiques/nucléaires.

Le récit « Les sanctions contre la Russie se retournent contre leurs auteurs », qui met en évidence les conséquences négatives présumées des sanctions sur les pays occidentaux et autres, avec un accent particulier sur la crise alimentaire et énergétique ainsi que sur l’inflation, est également apparu dans 15 incidents. Il convient de noter que ce groupe narratif comprend également des messages alléguant que les crises actuelles sont causées par les pays occidentaux et leurs sanctions.

Le 4e récit le plus courant « L’Occident est hypocrite », qui comprend tous les messages qui dépeignent à tort les entités occidentales comme violant les droits fondamentaux, menant des campagnes de désinformation, corrompues, colonialistes, russophobes ou sinophobes et exploitant les autres, a été observé 14 fois.

Le 5e récit le plus fréquent, « L’Ukraine est un État nazi et terroriste », qui présente de fausses affirmations selon lesquelles l’Ukraine est un État nazi et/ou terroriste ou qu’il soutient de tels groupes, est apparu dans 11 incidents.

Composition de l’écosystème médiatique des acteurs de la menace

Canaux de communication officiels : canaux officiellement utilisés par un État et ses représentants pour diffuser du contenu, comme, les sites Web officiels d’un État ou les comptes de médias sociaux des services diplomatiques et des ambassades.

Chaînes contrôlées par l’État : chaînes médiatiques officiellement affiliées à un acteur étatique. Elles sont détenues majoritairement par un État ou un parti au pouvoir, gérées par des organes nommés par le gouvernement et suivent une ligne éditoriale imposée par les autorités de l’État.

Chaînes liées à l’État : chaînes sans liens transparents ni affiliation officielle à un acteur étatique, mais dont l’attribution a été confirmée par des organisations ayant accès à des sources de données dorsales privilégiées, telles que des plateformes numériques, des entités de renseignement et de cybersécurité, ou par gouvernements ou services militaires sur la base d’informations classifiées.

Effets

80% des incidents n’ont déclenché aucun type de réponse, cependant, 20 incidents ont reçu une réponse de communication. Dans certains cas, plusieurs contre-mesures ont été prises. Au total, 28 contre-mesures ont été prises en réponse aux incidents. La contre-mesure la plus courante était la déclaration de réfutation, lorsqu’une entité impliquée a publié une déclaration réfutant les allégations de l’incident, ce qui représente 50% de tous les plans d’action. La démystification ou la vérification des faits des allégations de l’incident s’est produite dans 3 cas. La contre-mesure la moins courante était la suppression du contenu, car cela ne s’est produit qu’en réponse à un incident.

Au total, ce rapport contribue à fournir à la communauté des défenseurs des manipulations d’informations étrangères et menaces d’interférences un cadre de compréhension commune en vue de formuler une réponse collective et systématique.