Archives annuelles : 2016

Le service des porte-paroles de la Commission européenne au cœur de la tourmente

Malgré plusieurs tentatives, la Commission européenne n’est pas encore parvenue à organiser de manière satisfaisante ses relations presse…

D’un porte-parole par Commissaire à quelques porte-paroles thématiques

Sous la Commission Barroso, le modèle en place repose sur un porte-parole par Commissaire, soit 28 porte-paroles qui se tirent la couverture pour attirer l’attention médiatique sur leur Commissaire.

Résultat : une parole de l’institution confuse et sans ligne directrice suffisante qui se traduit par un flot ininterrompu de communiqués de presse sans information et d’annonces dérisoires sans intérêt pour les journalistes.

Avec la Commission Juncker, le service des porte-paroles est placé directement sous la présidence et quelques porte-paroles thématiques sont chargés de traduire les priorités politiques de l’institution.

Résultat : une parole davantage politique et trop verrouillée, qui a tendance à renforcer la langue de bois et le « no comment » au kilomètre au détriment d’une relation de travail vraiment efficace et utile pour les journalistes accrédités à Bruxelles.

La question de la restructuration du service de porte-parole, sous le feu des critiques en raison de la « mauvaise presse » de la Commission, se répand. Et les idées ne manquent pas.

Le fact-checking contre la désinformation

Dans son dernier livre « Parlons d’Europe », le Commissaire français Pierre Moscovici, selon Le Taurillon, « défend la nécessité d’une meilleure communication européenne avec des procédés de fact-checking, notamment pour dénoncer la désinformation mise en place lors des campagnes référendaires comme au Royaume-Uni ou en Hongrie récemment ».

Une proposition que le service de presse actuel aurait intérêt à mettre en œuvre au plus vite, en particulier auprès des médias britanniques, les plus enclins à diffuser des informations inexactes ou manipulées.

Mais, des relations presse exclusivement « réactives » ne sauraient suffire pour redresser l’image de l’Union européenne de plus en plus dégradées.

Des reporters indépendants pour une information positive

Giles Merritt, président du think tank Friends of Europe et ex-reporter au Financial Times propose dans Politico carrément de se séparer de tout le service de presse actuel pour recruter des reporters indépendants pour « écrire et diffuser les histoires que les lecteurs et les téléspectateurs se soucient vraiment – pas les histoires que les responsables de l’UE souhaitent promouvoir ».

Là encore, cette proposition radicale indique clairement les faiblesses d’un service de presse de la Commission européenne qui se concentrent sans grand succès d’ailleurs à servir les correspondants de presse accrédités à l’UE alors que l’écrasante majorité des journalistes se trouvent dans les Etats-membres à l’échelle nationale et régionale.

Mais, se substituer au travail des journalistes actuels, qui peinent déjà à survivre avec la crise de la presse représenterait une concurrence déloyale qui perturberait davantage qu’elle solutionnerait le problème de l’UE avec les journalistes.

Un nouveau service de presse dimensionné selon les besoins de tous les journalistes

La refondation des relations presse de la Commission européenne ne devrait pas se faire à partir des intentions de l’institution, mais des besoins de tous les journalistes. Il ne s’agit pas d’une proposition « démagogique » mais logique.

A Bruxelles, les relations presse s’établissent entre experts de l’UE pour nourrir les médias qui traitent sérieusement des affaires européennes. La Commission européenne devrait s’organiser pour faciliter leur travail avec d’une part, un porte-parole (et son/sa suppléant(e)) pour porter des déclarations politiques à l’occasion d’annonces importantes et des attachés de presse, beaucoup plus nombreux, pour échanger directement avec les journalistes sur des dossiers techniques, mobilisant des eurocrates spécialistes des questions. L’institution du midday briefing devrait être également revue pour organiser des conférences de presse lorsque c’est nécessaire… à la seule condition d’une contrepartie sous la forme d’un engagement à un service continu et efficace des journalistes tous les jours.

Dans les Etats-membres, les relations presse se limitent actuellement aux Représentations dans les capitales qui n’ont pas les moyens de travailler avec tous les journalistes potentiels alors que les besoins sont importants pour parvenir à « vendre » davantage d’Europe dans les médias audiovisuels et régionaux.

De la capacité à servir les différents médias, des « grands » titres anglo-saxons que chérissent les Commissaires, aux grands médias audiovisuels nationaux et aux « petits » titres locaux que fréquentent les Européens dépendra largement le succès ou l’échec des relations presse, donc du volume et de la tonalité générale des mentions de l’Europe dans les médias.

Les relations presse de la Commission européenne ont besoin d’un nouveau souffle. Le bruit quotidien de l’eurospeak, le jargon technocratique de l’UE, couvre de moins en moins la grogne des professionnels de l’information qui ne s’y retrouvent plus. 

Comment refonder le récit de l’Europe ?

Une « Master Class », mardi 25 octobre, s’est intéressée – en présence notamment d’Anthony Lockett, chargé de communication à la Commission et Loïc Nicolas, docteur en langues et lettres, spécialiste de la rhétorique politique et institutionnelle – aux enjeux de la communication publique de l’Union européenne. Sur quel récit l’Europe doit-elle se baser pour communiquer ?

La rhétorique de l’UE a besoin de plus d’éloquence et de proximité

Selon Loïc Nicolas, il faut que l’UE prenne place dans l’imaginaire collectif des États-membres et de leurs citoyens alors qu’il constate la quasi absence des questions européennes dans les médias nationaux des États-membres. L’UE ne peut pas continuer à faire du « top-down », elle se doit de replacer sa politique au niveau local pour lui donner plus de proximité.

Deuxième impératif, il faut persuader, c’est-à-dire admettre le caractère discutable et réfutable du discours. Il ne suffit pas d’expliquer l’Union européenne pour susciter l’envie d’y adhérer : un fait ne parle pas s’il n’est pas mis en écrit. La formation et l’information ne suffisent pas, il s’agit de convaincre avec plus d’argumentations.

La communication de l’UE doit combiner information, émotion, implication et mobilisation

Pour Anthony Lockett, il faudrait davantage d’information, d’émotion, d’implication et de mobilisation :

  • Information : en Europe, le Royaume-Uni est l’Etat-membre le moins informé (9%) sur les investissements de l’UE – on peut constater aujourd’hui les dégâts d’un déficit d’information sur la durée ;
  • Emotion : informer avec émotion revient aux représentants des Institutions plutôt qu’aux institutions elles-mêmes – on peut mesurer le chemin à parcourir compte-tenu des scandales qui touchent tour à tour les membres de la Commission : Barroso, Oettinger, Kroes…
  • Implication : investir dans les technologies ne doit pas occulter l’humain et l’importance du contact en face à face – on peut s’inquiéter de l’immensité du chemin à parcourir à l’échelle d’un continent de 450 millions d’Européens ;
  • Mobilisation : pour porter l’histoire de l’UE, il faut des gens crédibles avec des réseaux, pas seulement les représentants des Institutions – on peut regretter la faiblesse des médiateurs naturels (journalistes, responsables locaux, enseignants).

Au total, le récit sur l’Europe doit se refonder aux antipodes de la communication de l’UE actuelle, à savoir le moins institutionnel et explicatif et le plus émotionnel et expérientiel possible.

Communication européenne : quelle est la doxa à démythifier ?

Toute une série de préjugés ou d’idées préconçues polluent toute réflexion honnête sur la communication européenne. Quelle est la doxa, l’opinion généralement admise, quoique fausse, à démythifier ?

Idée reçu n°1 : l’UE souffre d’un déficit démocratique, cause d’un défaut de communication

Alors que tout va mal entre les Européens, l’idée la plus facile à croire consiste à considérer l’origine de tous les problèmes dans la communication inefficace de l’UE.

De plus en plus, la communication est dorénavant considérée comme la source de tous les maux de l’UE. Derrière le discours dominant sur le déficit démocratique de l’UE se cache l’illusion que l’UE souffrirait d’un déficit communicationnel à la racine du tassement de la confiance dans les institutions européennes.

Un tel raisonnement démontre non seulement une croyance démesurée dans les effets de la communication, mais permet, en outre, d’occulter les causes plus profondes des problèmes de la construction européenne.

Non seulement le déficit démocratique de l’UE est largement disproportionné, si l’on compare les règles nationales et européennes en matière de contrôle ou de transparence, mais surtout le défaut de communication de l’UE n’est que la surface émergée de l’iceberg si l’on prend en compte tous les problèmes auxquels est confronté l’UE aujourd’hui.

Idée reçue n°2 : l’accès à l’information européenne, solution à tous les problèmes

A l’inverse, l’autre croyance largement répandue consiste à considérer que l’information est la seule et unique clé du fossé entre l’UE et les citoyens européens.

Mais, informer sur l’Europe ne devrait pas se résumer à de la communication persuasive en cas de crise ou de polémique, ni se fonder sur l’idée que plus un citoyen sera informé, plus il sera favorable aux orientations de la construction européenne ou aux décisions prises par l’UE.

Quoique l’information européenne soit réservée à une audience limitée, de caractère élitiste ; elle ne conditionne pas, loin s’en faut, le degré d’adhésion au projet européen. Bien au contraire, peut-être si l’on prend en compte tous les « scandales » qui émaillent l’actualité des institutions européennes.

Idée n°3 : la citoyenneté européenne, la clé du sentiment d’appartenance à l’UE et de la participation électorale aux élections européennes

Dernière idée largement partagée, et pourtant inexacte ou incomplète, la citoyenneté européenne serait l’alpha et l’omega de la communication de l’UE.

Là encore, sans être totalement fausse, cette idée induit en erreur, en laissant à penser que la communication européenne devrait quasi exclusivement se concentrer sur les enjeux de citoyenneté.

Or, la construction européenne n’est pas qu’un guichet qui ouvre des droits. Réduire le projet européen aux élections européennes, c’est un peu comme réduire ce qui fait de chacun d’entre nous un citoyen national au fait de participer aux élections nationales. Ce n’est vraiment pas le plus attractif dans le contexte actuel de défiance généralisée envers la politique.

Une idée simple et séduisante, comme communiquer sur la citoyenneté européenne, peut au final se révéler piégée. L’envie d’être Européen aujourd’hui transcende largement les questions de citoyenneté pour aborder des questions d’identité culturelle, linguistique mais aussi économiques et sociales ou encore sociétales.

Au final, il est d’autant plus important d’avoir les idées claires aujourd’hui que malheureusement les bonnes idées pour faire réussir la communication européenne se raréfient.

Communication de l’UE : pourquoi l’Europe doit devenir une République ?

L’intervention du professeur Ulrike Guerot « Why Europe Must Become a Republic! » lors de la conférence Europcom la semaine dernière s’est révélée très instructive pour la communication de l’UE…

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Plaidoyer pour une Europe post-nationale

Lorsque les peuples s’unissent ensemble, ils forment la Res Publica autrement dit, ils organisent une république – pas une fédération ou un marché unique.

Comme le disait Jacques Delors, président de la Commission européenne : « Vous ne pouvez pas tomber amoureux avec un marché unique. L’Europe a besoin d’une âme. »

L’Europe aujourd’hui n’a pas passé le cap des nations et l’Union des citoyens est donc un mensonge en l’état actuel de la construction européenne.

Le Brexit montre que ce sont les nations – pas les citoyens – qui sont au contrôle. C’est parce que les citoyens ne croient pas qu’ils sont européens, que le Brexit devient possible.

Comme l’affirme Gramsci : « Lorsque l’ancien meurt et que le nouveau n’est pas encore né, nous vivons dans l’époque des monstres ».

Et le système institutionnel européen actuel est proprement monstrueux : la gouvernance n’est pas la responsabilité et l’irréversibilité des politiques européennes tue toute forme d’oppositions.

Plaidoyer pour une République européenne égalitaire

Tout comme la Révolution française a apporté l’égalité au-delà des états (clergé, noblesse, tiers état), les Suffragettes l’égalité au-delà des sexes, le Mouvement des droits civiques, l’égalité au-delà des races, il est temps maintenant que l’Europe apporte l’égalité politique au-delà des nations.

La priorité devrait être d’établir l’égalité entre les citoyens, plutôt que l’égalité économique via le marché unique des capitaux, des marchandises et des services. Ce que l’Europe a besoin, c’est d’une véritable égalité politique au-delà des nations : une véritable égalité européenne en matière électorale, fiscale et sociale.

Alors seulement, dans cette nouvelle République européenne, la communication pour l’égalité politique saura gagner les cœurs et les esprits des Européens. La République européenne, nouvelle utopie pour l’UE ?

L’information, la communication européennes et les Français

Dans son mémoire : « La communication européenne et les Français : le nouveau combat politique de l’Union européenne », Sarah Bakhtous, étudiante à SciencesCom, analyse l’impact de la communication européenne sur les Français à partir d’une enquête à la fois quantitative et qualitative de l’opinion…

Hypothèse 1 confirmée : Une information limitée sur les affaires européennes 

Les résultats confirment une information limitée sur les affaires européennes, due à la communication jugée peu efficace de l’UE aussi bien par les experts de l’UE que le public interrogé qui estiment (par exemple) qu’une communication efficace doit rentrer dans les foyers.

L’autre acteur jugé responsable de cette information limitée sont les médias, qui ne remplissent pas correctement leur rôle de diffuseur d’informations européennes. Ces informations sont en général mal expliquées et biaisées.

Les autres relais d’information comme les think tanks européens remplissent leur rôle mais ne sont malheureusement pas assez connus du grand public qui ne va pas s’informer directement auprès d’eux.

Hypothèse 2 mitigée : Un désintérêt pour l’information européenne

Le second résultat concerne l’intérêt des Français pour l’information européenne. Les Français sont conscients de l’importance des politiques européennes sur les politiques nationales.

Néanmoins, ils ne vont s’intéresser que si des sujets concrets les concernent directement dans leur vie quotidienne.  L’information européenne semble trop compliquée à comprendre et ne donne pas envie de s’y intéresser davantage.

Une corrélation existe entre cet intérêt et le taux de participation aux élections européennes. Le citoyen n’ira pas voter s’il ne comprend pas et ne se sent pas concerné par les problématiques européennes.

Hypothèse 3 confirmée : Une défiance des Français envers l’Union européenne

La troisième hypothèse est validée puisque les Français ressentent de la défiance envers les institutions européennes. Les différentes crises ont montré aux Français que l’Europe ne pouvait pas tout résoudre et cela a ébranlé la confiance qu’ils avaient en elle.

Malgré les bons sentiments, les citoyens pensent que l’Union européenne n’a pas réussi à régler la crise et qu’elle n’est pas à la hauteur de son ambition. Elle s’aventure sur des terrains qui ne lui sont pas légitimes donc elle déçoit lorsqu’elle ne réalise pas les objectifs fixés.

Les échos négatifs réguliers des personnalités politiques françaises entachent l’image de l’Union européenne et installe un sentiment de méfiance. Cette atmosphère amène à un repli au niveau national des citoyens français.

Hypothèse 4 infirmée : Un sentiment d’appartenance national et non européen

Les résultats infirment l’hypothèse 4 : les Français se sentent européens même si cela est dû à des raisons géographiques (le fait qu’ils vivent sur un continent européen) et non à des raisons historiques (les valeurs et l’histoire de la construction européenne).

En conclusion, ce travail permet de mettre en lumière le fait qu’aujourd’hui l’Union européenne peine à se faire entendre, même si elle fait partie de la vie des Français. La priorité reste donc de démontrer à tout à chacun l’impact concret de l’UE. Malgré la défiance française à l’égard de l’UE, les Français continuent d’imaginer un futur au sein de l’Union. Une reconquête citoyenne reste alors possible pour cette institution, à la seule condition de renouveler sa politique de communication.