Archives mensuelles : novembre 2016

Quels enseignements de la campagne américaine pour les prochaines élections européennes ?

Les premières analyses de la campagne américaine redéfinissent largement les lignes entre une vision optimiste des opportunités du numérique pour réengager les électeurs et une vision réaliste des risques et des dérives du web sur le corps électoral et les résultats des élections. Quels sont les nouveaux défis de la démocratie à l’ère numérique, à la lecture des tendances définies par Jamie Bartlett et Heather Grabbe dans « E-democracy in the EU: the opportunities for digital politics to re-engage voters and the risks of disappointment » ?

De nouvelles attentes : les citoyens perdent confiance dans la manière dont les élus font de la politique, même si elle reste pertinente

L’expérience numérique des gens est en train de changer leur attitude envers la politique alors que la révolution numérique leur a permis de parler sans filtre beaucoup plus facilement, de s’impliquer davantage dans la création d’informations et d’interagir avec n’importe qui.

Les élections américaines montrent que ces facultés offertes par la technologie numérique dans la vie quotidienne semblent être appréciées par les citoyens chez les candidats, même les moins conventionnels.

Si les électeurs estiment que les procédures qui régissent la façon dont les décisions sont prises sont distantes, fermées, incompréhensibles et inexplicables, ils valoriseront de moins en moins les processus démocratiques où leur participation est pourtant vitale.

Comment la politique peut-elle répondre aux nouvelles attentes des gens à l’égard de la prise de décision ?

Améliorer la qualité de l’engagement en politique est donc particulièrement important, surtout au niveau de l’UE, où la prise de décision est souvent à huis clos et toujours difficile à comprendre, rendant l’expérience encore plus insatisfaisante et opaque pour les citoyens.

Une partie de la réponse réside dans la qualité de l’engagement, pas seulement sa rapidité ou sa facilité, via notamment la transparence non seulement des informations mises en ligne mais des données publiques européennes consultables, partageables et discutables

En résumé, la vie en ligne est instantanée, transparente, facile et connectée alors que la politique est souvent lente, laborieuse et secrète.

De nouvelles manières de faire de la politique : les partis politiques de masse sont à la remorque, face à de nouveaux mouvements en ligne

Chaque jour, il y a des millions de conversations sur les enjeux politiques dans les espaces numériques qui reflètent espoirs, opinions et croyances des citoyens – mais ces débats ne sont pas, ou très peu, reliés à l’engagement politique formel.

Les médias sociaux et les réseaux alternatifs permettent aux gens de trouver une myriade de nouvelles manières d’exprimer leurs opinions politiques publiquement, en dehors des espaces politiques formels traditionnels.

Quel sera l’effet de la montée rapide de nouveaux mouvements sur le web pour la démocratie ?

De nouveaux partis et mouvements canalisent beaucoup plus d’énergie grâce à l’activité politique en ligne. Ils posent également un défi majeur aux partis établis, dont l’infrastructure, l’organisation locale et l’adhésion ne sont plus un avantage décisif.

Le marché politique – autrefois un oligopole entre quelques grands partis – est beaucoup plus ouvert avec maintenant moins d’obstacles pour les nouveaux entrants et beaucoup plus de concurrence pour l’attention et les votes. Les réseaux deviennent plus puissants vis-à-vis des institutions établies, comme dans de nombreux autres domaines touchés par Internet.

Certains auront des difficultés à s’adapter, mais d’autres pourraient être dynamisés par la nouvelle concurrence en adoptant de nouvelles méthodes qui se connectent mieux avec les électeurs.

Les implications pour le fonctionnement démocratique du système politique tel qu’il est actuellement constitué dépendent moins du fait que les anciens partis réussissent à garder leur part du vote que des questions et du style de débats que les nouveaux mouvements apportent à la politique.

S’ils nourrissent de larges débats publics et stimulent une nouvelle réflexion, ils peuvent apporter un nouveau dynamisme. Mais s’ils deviennent des « petites chapelles » qui marginalisent les minorités et excluent certaines parties de la société, ils pourraient nuire.

De nouvelles sources et formes pour créer, accéder et utiliser l’information en politique : les citoyens, comme les élus sont submergés

Le web fournit de vastes quantités de données et un large éventail de sources d’information sur un vaste éventail de questions, accessibles à tout être humain disposant d’une connexion Internet.

Des changements majeurs s’observent dans la façon dont les gens trouvent, accèdent, consomment, créent et partagent des informations sur la politique. En particulier, les médias sociaux sont en train de changer où et comment les gens obtiennent leurs informations politiques.

Comment s’assurer que les électeurs, les représentants et les institutions ne soient pas submergés par des données politiques inexactes et non pluralistes au point de les déstabiliser ?

Les démocraties font face à une situation nouvelle en passant de la rareté au déluge des informations : entre les infos des médias traditionnels, des politiques et générées par les internautes-utilisateurs, qui entrent directement dans la vie publique, sans intervention ni médiation d’un « gatekeeper » professionnel.

L’accès à l’information s’est démocratisé mais les informations sont plus trompeuses. L’éventail des erreurs, des demi-vérités, des mensonges – l’ère « post-truth » actuellement en ligne – remet en question la capacité des gens à distinguer entre les bonnes et les mauvaises informations. Il en va de même pour les hommes politiques européens. Ils reçoivent également de vastes volumes de données générées par les utilisateurs.

Les effets ultimes de ces changements sur les attitudes politiques sont encore inconnus, mais les élections américaines invitent à lire comme conséquence un débat politique plus polémique et polarisé.

Certes, Internet démocratise la création de l’information et met à la disposition des gens une large diversité d’opinions, ce qui amène davantage d’engagement et de pluralisme. Mais, le défi vital est comment les citoyens peuvent mieux naviguer et utiliser l’information non médiatisée de manière à soutenir des sociétés ouvertes et libres et comment la technologie peut aider les citoyens à tenir leurs élus responsables et encourager une plus grande transparence et responsabilisation.

Des humeurs mauvaises de la communication européenne

Actuellement, la communication des institutions européennes ne tourne pas rond, même si Wolfgang Petzold estime, lors de la conférence Europcom, « pourquoi la communication de l’UE n’est pas le problème »…

Perte de la fierté du cœur de métier de la communication européenne

Wolfgang Petzold rappelle avec justesse qu’« historiquement, la communication de l’UE s’est fondée sur l’information des institutions pour les bureaucrates et les experts ».

Cette mission de faire connaître le projet européen à des publics « captifs » qui se trouvent professionnellement contraint de s’intéresser à la construction européenne a toujours été remplie de manière satisfaisante.

Mais l’aspiration récurrente de s’adresser directement aux citoyens européens, malgré les nombreuses barrières linguistiques et/ou matérielles a fait perdre aux fonctionnaires européens chargés de la communication leur fierté pour leur cœur de métier, pourtant indispensable et irremplaçable. A vouloir faire ce qu’ils ne savent pas, ils ne font plus ce qu’ils devraient faire.

Une communication européenne de crise qui débouche sur la crise de la communication européenne

Wolfgang Petzold observe qu’« après le consensus permissif, la communication de l’UE s’est développée comme réponse à l’expansion des compétences de l’UE (Acte Unique, Commission Delors) et aux crises de l’intégration (Maastricht, chute de la Commission Santer) ».

Le problème, c’est effectivement que la communication européenne ne s’est manifestée qu’à l’occasion de crises, toujours dans l’urgence et la contrainte ; une communication-pompier, qui devient en quelque sorte un art-pompier maladroit.

Comment peut-on imaginer que l’Union européenne puisse développer une image forte auprès des peuples, une confiance solide avec les peuples alors que la seule communication audible est une communication de crise, défensive et isolée.

Les méthodes de communication de l’UE sont actuellement en crise parce que le modèle d’une communication à la fois très technique et trop rare n’est plus du tout adapté aux attentes des médias, aux pratiques des politiques et aux habitudes des citoyens.

Naïveté dans la croyance du web et de la transparence comme solution miracle de la communication européenne

Wolfgang Petzold remarque que « depuis une dizaine d’années, les institutions européennes ont investi l’information basée sur le web et la transparence (Europa.eu, plan D) afin d’impliquer les citoyens ».

Le sur-investissement dans le web et la transparence trahit une certaine forme de naïveté en considérant que les Européens seront de bons citoyens pro-actifs qui « joueront le jeu » de la démocratie européenne… alors que la compétition pour du « temps de cerveau disponible » s’est largement accrue pour les annonceurs, tant privés que publics au cours de ces dernières années.

Frustration face aux échecs relatifs des campagnes de communication et au blocage des médiateurs naturels

Wolfgang Petzold conclut que « malgré tout, la communication de l’UE est toujours perçue comme jargon et/ou propagande ».

Le sentiment domine qu’après l’époque dorée des projets innovants avec Margot Wallström et l’ère de la régression sous Viviane Reding, qui abandonne notamment la stratégie de partenariat, la communication européenne fait finalement du surplace.

L’échec relatif du projet-pilote de campagne de communication corporate et la déception du nouveau service de porte-parole génère une sorte de frustration qui paralyse les nouvelles initiatives innovantes et originales, d’autant plus que la communication est de plus en plus politiquement verrouillée.

Une forme de lassitude conduit même à ne plus tenter de résoudre le problème principal lié au blocage des médiateurs naturels qui ne font pas leur métier : les journalistes, les politiques, les leaders d’opinion, les enseignants ; tous pour des raisons différentes ne communiquent pas assez sur l’Europe auprès de leurs propres publics. C’est là que devrait se porter en priorité les efforts.

Au total, les humeurs mauvaises traduisent un aveuglement stratégique de la communication de l’UE.

Le service des porte-paroles de la Commission européenne au cœur de la tourmente

Malgré plusieurs tentatives, la Commission européenne n’est pas encore parvenue à organiser de manière satisfaisante ses relations presse…

D’un porte-parole par Commissaire à quelques porte-paroles thématiques

Sous la Commission Barroso, le modèle en place repose sur un porte-parole par Commissaire, soit 28 porte-paroles qui se tirent la couverture pour attirer l’attention médiatique sur leur Commissaire.

Résultat : une parole de l’institution confuse et sans ligne directrice suffisante qui se traduit par un flot ininterrompu de communiqués de presse sans information et d’annonces dérisoires sans intérêt pour les journalistes.

Avec la Commission Juncker, le service des porte-paroles est placé directement sous la présidence et quelques porte-paroles thématiques sont chargés de traduire les priorités politiques de l’institution.

Résultat : une parole davantage politique et trop verrouillée, qui a tendance à renforcer la langue de bois et le « no comment » au kilomètre au détriment d’une relation de travail vraiment efficace et utile pour les journalistes accrédités à Bruxelles.

La question de la restructuration du service de porte-parole, sous le feu des critiques en raison de la « mauvaise presse » de la Commission, se répand. Et les idées ne manquent pas.

Le fact-checking contre la désinformation

Dans son dernier livre « Parlons d’Europe », le Commissaire français Pierre Moscovici, selon Le Taurillon, « défend la nécessité d’une meilleure communication européenne avec des procédés de fact-checking, notamment pour dénoncer la désinformation mise en place lors des campagnes référendaires comme au Royaume-Uni ou en Hongrie récemment ».

Une proposition que le service de presse actuel aurait intérêt à mettre en œuvre au plus vite, en particulier auprès des médias britanniques, les plus enclins à diffuser des informations inexactes ou manipulées.

Mais, des relations presse exclusivement « réactives » ne sauraient suffire pour redresser l’image de l’Union européenne de plus en plus dégradées.

Des reporters indépendants pour une information positive

Giles Merritt, président du think tank Friends of Europe et ex-reporter au Financial Times propose dans Politico carrément de se séparer de tout le service de presse actuel pour recruter des reporters indépendants pour « écrire et diffuser les histoires que les lecteurs et les téléspectateurs se soucient vraiment – pas les histoires que les responsables de l’UE souhaitent promouvoir ».

Là encore, cette proposition radicale indique clairement les faiblesses d’un service de presse de la Commission européenne qui se concentrent sans grand succès d’ailleurs à servir les correspondants de presse accrédités à l’UE alors que l’écrasante majorité des journalistes se trouvent dans les Etats-membres à l’échelle nationale et régionale.

Mais, se substituer au travail des journalistes actuels, qui peinent déjà à survivre avec la crise de la presse représenterait une concurrence déloyale qui perturberait davantage qu’elle solutionnerait le problème de l’UE avec les journalistes.

Un nouveau service de presse dimensionné selon les besoins de tous les journalistes

La refondation des relations presse de la Commission européenne ne devrait pas se faire à partir des intentions de l’institution, mais des besoins de tous les journalistes. Il ne s’agit pas d’une proposition « démagogique » mais logique.

A Bruxelles, les relations presse s’établissent entre experts de l’UE pour nourrir les médias qui traitent sérieusement des affaires européennes. La Commission européenne devrait s’organiser pour faciliter leur travail avec d’une part, un porte-parole (et son/sa suppléant(e)) pour porter des déclarations politiques à l’occasion d’annonces importantes et des attachés de presse, beaucoup plus nombreux, pour échanger directement avec les journalistes sur des dossiers techniques, mobilisant des eurocrates spécialistes des questions. L’institution du midday briefing devrait être également revue pour organiser des conférences de presse lorsque c’est nécessaire… à la seule condition d’une contrepartie sous la forme d’un engagement à un service continu et efficace des journalistes tous les jours.

Dans les Etats-membres, les relations presse se limitent actuellement aux Représentations dans les capitales qui n’ont pas les moyens de travailler avec tous les journalistes potentiels alors que les besoins sont importants pour parvenir à « vendre » davantage d’Europe dans les médias audiovisuels et régionaux.

De la capacité à servir les différents médias, des « grands » titres anglo-saxons que chérissent les Commissaires, aux grands médias audiovisuels nationaux et aux « petits » titres locaux que fréquentent les Européens dépendra largement le succès ou l’échec des relations presse, donc du volume et de la tonalité générale des mentions de l’Europe dans les médias.

Les relations presse de la Commission européenne ont besoin d’un nouveau souffle. Le bruit quotidien de l’eurospeak, le jargon technocratique de l’UE, couvre de moins en moins la grogne des professionnels de l’information qui ne s’y retrouvent plus. 

Comment refonder le récit de l’Europe ?

Une « Master Class », mardi 25 octobre, s’est intéressée – en présence notamment d’Anthony Lockett, chargé de communication à la Commission et Loïc Nicolas, docteur en langues et lettres, spécialiste de la rhétorique politique et institutionnelle – aux enjeux de la communication publique de l’Union européenne. Sur quel récit l’Europe doit-elle se baser pour communiquer ?

La rhétorique de l’UE a besoin de plus d’éloquence et de proximité

Selon Loïc Nicolas, il faut que l’UE prenne place dans l’imaginaire collectif des États-membres et de leurs citoyens alors qu’il constate la quasi absence des questions européennes dans les médias nationaux des États-membres. L’UE ne peut pas continuer à faire du « top-down », elle se doit de replacer sa politique au niveau local pour lui donner plus de proximité.

Deuxième impératif, il faut persuader, c’est-à-dire admettre le caractère discutable et réfutable du discours. Il ne suffit pas d’expliquer l’Union européenne pour susciter l’envie d’y adhérer : un fait ne parle pas s’il n’est pas mis en écrit. La formation et l’information ne suffisent pas, il s’agit de convaincre avec plus d’argumentations.

La communication de l’UE doit combiner information, émotion, implication et mobilisation

Pour Anthony Lockett, il faudrait davantage d’information, d’émotion, d’implication et de mobilisation :

  • Information : en Europe, le Royaume-Uni est l’Etat-membre le moins informé (9%) sur les investissements de l’UE – on peut constater aujourd’hui les dégâts d’un déficit d’information sur la durée ;
  • Emotion : informer avec émotion revient aux représentants des Institutions plutôt qu’aux institutions elles-mêmes – on peut mesurer le chemin à parcourir compte-tenu des scandales qui touchent tour à tour les membres de la Commission : Barroso, Oettinger, Kroes…
  • Implication : investir dans les technologies ne doit pas occulter l’humain et l’importance du contact en face à face – on peut s’inquiéter de l’immensité du chemin à parcourir à l’échelle d’un continent de 450 millions d’Européens ;
  • Mobilisation : pour porter l’histoire de l’UE, il faut des gens crédibles avec des réseaux, pas seulement les représentants des Institutions – on peut regretter la faiblesse des médiateurs naturels (journalistes, responsables locaux, enseignants).

Au total, le récit sur l’Europe doit se refonder aux antipodes de la communication de l’UE actuelle, à savoir le moins institutionnel et explicatif et le plus émotionnel et expérientiel possible.