Archives mensuelles : septembre 2016

La communication corporate européenne : qui, comment et pour quoi ?

Evoléna de Wilde d’Estmaël dans son mémoire croise les « regards des communicants dans et autour des institutions de l’Union européenne » et s’interroge sur la démarche de centralisation et de politisation de la communication de la Commission européenne qui se traduit par une « communication corporate » risquant de « faire passer l’unicité du message avant la sincérité du projet ? »…

Génèses de la « communication corporate » : nouvelle fonction présidentielle « about the wood, not only the individual trees »

Sous la deuxième Commission Barroso (2010-2014), la communication est regroupée avec la citoyenneté au sein du portefeuille de Vivane Reding. Avec Martin Selmayr, son chef de cabinet qui avait été son porte-parole, « ils mettent en place une recentralisation des pouvoirs et des moyens de la DG COMM. C’est le début du corporate. » Devenu chef de cabinet de Jean-Claude Juncker, Selmayr obtient la « présidentialisation de la communication » à la fois plus politique et corporate. « Selmayr a vraiment été un élément déterminant de la communication des dernières années. »

Parmi les axes de communication prioritaires de la DG COMM définis dans les Méthodes de Travail de la Commission Juncker adoptées le 11 novembre 2014, la communication corporate vise à « améliorer l’image corporate (branding) de la Commission ».

L’adoption d’une approche corporate au niveau européen consistait en 2014 à « mieux faire passer les messages politiques clés en regardant au-delà des portefeuilles individuels pour communiquer collectivement sur les points importants à la Commission».

La mission principale d’un point de vue communicationnel est de « sensibiliser le public à l’UE en général, à ses valeurs et priorités politiques et aux efforts qu’elle consent pour s’attaquer aux questions d’actualité ».

Ce document affirme « qu’il est urgent » que la Commission et les autres institutions européennes diffusent avec davantage de clarté et de force les  priorités politiques de l’UE, car une communication efficace des messages est essentielle pour la gestion de l’image et de la réputation de l’UE. Cette stratégie part du principe que « la communication ne peut être efficace que si la Commission parle d’une seule voix ».

Interprétations de la communication corporate : verrouillage et centralisation

À la Commission, Gilles Gantelet estime : « si par communication corporate on s’entend pour dire que c’est une communication d’une seule entité, organisée, avec les mêmes outils, les mêmes référents, et qui est beaucoup plus contrôlée, alors oui tout est en place aujourd’hui pour le faire ».

S’opère « un véritable verrouillage de la communication de la Commission : il est désormais impossible d’avoir un rendez-vous avec un expert sans autorisation préalable du service du porte-parole. » Gantelet confirme que de nombreux changements ont eu lieu ces dernières années dans la gestion des publications qui, de plus en plus, passent par la validation au plus haut niveau politique de la DG COMM ou du SPP.

Gareth Harding, ancien journaliste accrédité auprès de l’UE aujourd’hui directeur d’une agence de communication à Bruxelles considère que la communication avec le public et les journalistes a empiré depuis l’arrivée de Juncker. « Où est la preuve que la politique de communication de la Commission est une réussite, si de plus en plus de gens se tournent contre le projet européen, et ce dans presque les pays de l’UE ? ».

Une communication unifiée signifie un contrôle plus strict, et peut donc également mener à moins de démocratie. Or, selon Harding, « toute cette idée de communication Politburo centralisée est mauvaise. La communication, c’est la création d’un débat, d’une conversation, plutôt que juste la diffusion de messages. »

Les 10 chantiers de la communication européenne aujourd’hui

1. L’UE n’a pas de visage

2. L’UE s’exprime de plusieurs voix discordantes

3. L’UE est le bouc émissaire des gouvernements nationaux

4. La sphère européenne est un système clos

5. La communication de l’UE est verrouillée

6. La relation UE-medias-citoyens est complexe

7. Le budget et le personnel qualifié posent question

8. La communication est considérée comme la source de tous les maux de l’UE

9. La nouvelle communication corporate de l’UE semble ne pas porter ses fruits

10. L’UE n’a pas une vision claire de ce qu’elle veut communiquer… ni de comment elle se définit

Communiquer l’Europe restera un exercice compliqué durant les prochaines années, et la communication corporate ne portera vraisemblablement pas plus de fruits que la communication actuelle si un exercice fort de définition du projet européen et de ses limites n’a pas lieu. 

Déclaration de Bratislava : les chefs d’Etat et de gouvernement veulent mieux communiquer

Présenté comme un sommet important permettant aux chefs d’Etat et de gouvernement de faire une « analyse commune de l’état actuel de l’Union européenne » et un « examen de notre avenir commun », la déclaration de Bratislava – de manière assez inédite – aborde l’enjeu de la communication…

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Clarté, honnêteté, courage : la vision de la communication européenne des chefs d’Etat et de gouvernement

Le texte de la déclaration de Bratislava donne des indications intéressantes de la perception que se font les chefs d’Etat et de gouvernement de ce que devrait être la communication européenne :

Nous devons mieux communiquer les uns avec les autres – entre États membres, avec les institutions de l’UE, mais aussi, et c’est le plus important, avec nos citoyens. Nous devrions apporter plus de clarté à nos décisions. Utiliser un langage clair et honnête. Nous concentrer sur les attentes des citoyens, en ayant réellement le courage de nous élever contre les solutions simplistes des forces politiques extrémistes ou populistes.

À Bratislava, nous nous sommes engagés à offrir à nos citoyens, au cours des prochains mois, une vision d’une UE attrayante, à même de susciter leur confiance et leur soutien.

Comment traduire ces intentions en actions de communication pour l’UE ?

La feuille de route de Bratislava devrait inciter les institutions européennes à s’interroger sur les manières de traduire concrètement ces intentions – tant par des mesures symboliques qui frappent les esprits que quotidiennement, à chaque occasion de parler, écrire, montrer…

Sur le plan symbolique, les institutions européennes et leurs responsables pourraient par exemple s’engager à ne plus pratiquer le « no comment » lors des conférences de presse afin d’illustrer la volonté de clarté, d’honnêteté et de courage.

Sur le plan pratique, la disparition immédiate et intégrale de toutes abréviations et jargons dans les pages publiées en ligne, les communiqués envoyés et tout autre support pourrait constituer un premier pas dans la bonne direction.

Pour une fois, la communication européenne est un enjeu perçu par les chefs d’Etat et de gouvernement. C’est le moment pour les institutions européennes de ne pas les décevoir ; après tant d’année de déception pour les citoyens.

Que faut-il retenir du discours sur l’état de l’Union de Juncker ?

Au-delà des annonces, sommes toutes assez importantes du discours sur l’état de l’Union européenne du président de la Commission européenne devant le Parlement européen mercredi 14 septembre dernier, que peut-on retenir sur l’information et la communication autour de cet événement européen ?

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Un exercice, déjà difficile, rendu encore plus compliqué par les actualités (Brexit, Bratislava et Barroso)

Le rendez-vous installé par le traité de Lisbonne depuis 2010 n’est pas un parcours de santé pour le président de la Commission européenne. Il doit parvenir à formuler un discours qui donne des perspectives et synthétise les prochaines initiatives sans sombrer dans un catalogue de bonnes intentions et de mesures. L’expérience de Ryan Heath de Politico avec Barroso est particulière instructive en la matière.

En outre, la cuvée 2016 est particulièrement plombée par l’agenda qui prend en sandwich le discours entre le Brexit, dont on attend encore l’ouverture officielle des négociations, le sparadrap Barroso, recruté par Goldman Sachs, dont Juncker s’est décidé à réagir quelques jours avant et le sommet de Bratislava, dont on attend une feuille de route des chefs d’Etat et de gouvernement quelques jours après. Bref, le « timing » ne pourrait être plus compliqué.

Résultat, les retombées les plus partagées dans les médias montrent que ce ne sont pas les principales déclarations qui retiennent l’attention du public mais les sujets d’actualité les plus controversés.

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Une communication, plutôt rodée, soldée par une controverse avec une Youtubeuse

La mobilisation des moyens de communication en ligne des institutions européennes à l’occasion du discours sur l’état de l’Union européenne ne cesse d’année en année de se renforcer.

Doté d’un portail et d’un hashtag dédiés sotue.eu et #sotue (près de 100 000 tweets publiés), le déploiement du teasing, à la couverture live – de plus en plus en format vidéo – et aux restitutions des temps forts dans les différents médias sociaux est plutôt convaincant.

Comme chaque année, une innovation en termes de communication est également introduite à l’occasion du discours. Cette année, il s’agit d’une interview-live du président de la Commission européenne Jean-Claude Juncker interrogé par des Youtubeurs et diffusé en ligne et sur Euronews.

Laetitia Birbes, l’une des vloggers affirme dans une vidéo : « Comment Youtube m’a menacée pour plaire au président Juncker » qu’elle aurait été « menacée » par le personnel de YouTube, qui aurait fait pression sur elle pour influencer ses questions.

Au total, que faut-il retenir ? Deux choses. D’une part, l’agenda est plus fort que la déclaration. Dans la mesure du possible, les actualités encombrantes devraient être traitées en amont du discours pour libérer l’agenda et permettre de se concentrer sur le fond. D’autre part, la transparence intégrale est la nouvelle règle. Le dialogue avec des Youtubeurs peut se révéler un choix risqué.