Archives annuelles : 2015

L’espace public culturel et virtuel au secours de l’UE

Dans une réflexion sur le rôle crucial et ambivalent des médias et de la culture pour l’UE, Ancuta-Gabriela Tarta revisite la notion d’espace public et annonce plusieurs clashs. Pourquoi ?

1er clash des espaces publics : hors ligne contre médias en ligne

Les médias traditionnels imprimés et audiovisuels représentent la connexion la plus importante entre les citoyens et les institutions européennes. Les gens obtiennent leurs informations sur l’activité des institutions européennes dans les médias, et ils ont une image de l’UE sur la base de ce qu’ils voient dans les médias.

En théorie, pour rendre le travail de l’UE, les médias doivent offrir aux citoyens la possibilité de discuter les décisions des institutions européennes, ainsi que de transmettre le résultat de ces discussions à Bruxelles.

Dans la pratique, les décideurs européens sont situés à une distance considérable de la plupart des citoyens dont ils influencent pourtant la vie. Mais, sans soutien public, la légitimité des acteurs politiques européens devient très discutable.

La couverture médiatique traditionnelle de l’UE a plusieurs handicaps :

  • Tout d’abord, les personnages sont ternes et peu attrayants, et les institutions plutôt abstraites et lointaines. Les citoyens déclarent avoir du mal à se rapporter à l’information européenne.
  • Deuxièmement, il y a un manque de perspective dans les infos de l’UE, au point que les gens se demandent « et alors? ». À la fin, l’information est correctement contextualisée mais pas ou peu expliquée, et est souvent assez superficielle.
  • Dernier point, mais non le moindre, les gens considèrent la couverture des nouvelles européenne comme étant biaisés, manquant de pluralisme et de débat.

Alors, les défauts des anciens médias pourraient-ils être réduits par les nouveaux médias ?

Internet est un moyen à la fois le plus rapide et d’ubiquité car il peut être consulté à partir de n’importe quel point de l’espace européen. Dans le même temps, la nature essentiellement interactive du web 2.0 facilite la participation à des discussions et des débats.

2e clash des espaces publics : la culture face à la politique

Habermas, le concepteur de l’espace public, estime que l’espace public littéraire (dans les cafés et les salons) est la condition préalable à l’émergence d’un espace public politique. Que peut cet espace culturel dans la société d’aujourd’hui ?

La culture populaire peut aider à sensibiliser les citoyens aux questions politiques beaucoup plus inintéressants, mais autrement importants en rendant la politique plus accessible, et que cela plaise ou non, en la rendant aussi plus populaire. Les programmes d’infotainment pourraient être un moyen de susciter l’intérêt du public pour les questions politiques qui, autrement, pourraient sembler terne et peu attrayant.

Puisqu’il est irréaliste d’attendre des citoyens qu’ils s’impliquent dans un débat actif sur la politique officielle de l’UE, c’est aux institutions européennes de rendre leur communication plus populaire avec les citoyens.

La réaction du public à une question politique est souvent émotionnelle et esthétique, et non rationnelle et il n’est pas rare que les expériences émotionnelles et esthétiques sont la lampe de poche pour éclairer des questions politiques obscures et incompréhensibles.

Pour un espace public culturel renouvelé reposant sur Internet

Un espace public culturel virtuel serait un espace de communication pluraliste permettant l’expression de tous les points de vue entre les citoyens et les décideurs sur la base d’une « rhétorique de la vie quotidienne » rendant accessible à un large éventail de citoyens les arguments politiques et offrant un environnement de socialisation pour des discussions passionnées voire des réactions irrationnelles, tout en favorisant la participation.

Dans le contexte de l’UE, l’espace public culturel semble très pertinent. Les citoyens de l’UE ne peuvent être appelés à développer un « sentiment » d’appartenance à un espace transnational, aussi longtemps que cet espace est d’abord une construction politique. Ils ne peuvent pas sérieusement se sentir « unis dans la diversité ». Qu’est-ce que les citoyens peuvent, cependant, être censés faire ? Agir et s’exprimer en fonction de leur contexte culturel, leurs goûts, leurs aversions et leurs convictions intérieures.

Internet pourrait être l’endroit de la médiation entre les citoyens et les décideurs puisque la nature virtuelle et la structure des réseaux sociaux tend à favoriser un type de communication informelle qui fait appel principalement aux émotions et à l’esthétique plutôt qu’au rationnel.

L’espace public culturel, via Internet, est en fait la première étape à franchir afin de développer un espace public politique, qui permettrait de résoudre le problème de déficit démocratique des institutions européennes.

Pourquoi les communiqués de presse de la Commission européenne sont si différents ?

Spécialiste des communiqués de presse de la Commission européenne, au point d’y avoir consacré sa thèse, Maria Lindholm estime que la façon dont ces textes sont conçus est tout à fait particulière et peut être expliquée par la situation de communication de la Commission européenne…

Une situation de communication propre à la Commission européenne où persuasion et légitimation vont de pair

Une série d’arguments justifient que les communiqués de presse de la Commisison européenne répondent à un modèle de texte autant souhaité qu’imposé par les contraintes :

Le caractère multilingue de l’UE, qui doit communiquer avec 28 Etats membres sans langage commun, implique que de nombreux écrivains travaillent dans une langue étrangère.

La position de la Commission – institution hybride agissant à la fois comme dirigeant politique de l’UE et « eurocratie » administrative – complique encore la façon dont l’institution peut et doit se positionner.

La Commission a constamment besoin d’indiquer la nécessité d’une action à entreprendre au niveau de l’UE. Non seulement le communiqué de presse doit donner des détails sur une initiative, un rapport ou un événement, mais il doit surtout aider à soutenir un message stratégique plus large sur la «valeur ajoutée» de l’UE qui offre des avantages aux citoyens qui l’absence d’action de l’UE ne permettrait pas d’atteindre.

En fait, la situation de la communication de la Commission européenne lui impose que tous ses efforts de « persuasion » aillent de pair avec un besoin de « légitimation » pour l’UE.

Les communiqués de presse de la Commission européenne à la lumière de la nature complexe et collective de la production de texte

Les communiqués de presse font partie d’une séquence de communication et ne doivent pas être considérées comme un événement isolé. Émis en relation directe avec une conférence de presse quotidienne, le briefing du midi, ils sont le résultat d’un processus de production, qui justifient leurs différences :

D’abord, l’introduction obligatoire dans le communiqué de presse de la Commission (contrairement aux communiqués nationaux) agit comme un résumé pour le Midi Daily Express.

Ensuite, la citation ; vise un double objectif. Premièrement, donner un visage humain à l’institution et deuxièmement, permettre que la partie de persuasion (plus politique) soit endossée par la personne citée, le plus souvent un ou une Commissaire au lieu de rendre l’ensemble de la Commission responsable de l’énoncé.

Enfin, l’intertextualité systématique – une stratégie de mention d’autres textes très fréquemment exploitée par la Commission européenne – est liée au besoin de légitimer ses actions.

De toute évidence, les communiqués de presse de la Commission européenne servent à plusieurs fins, pas seulement informer les correspondants basés à Bruxelles au sujet de ses initiatives mais convaincre le lecteur que les actions au niveau de l’UE sont nécessaires et légitimer ses propres actions en se référant à un processus continu d’initiatives.

Au total, dans la communication de la Commission européenne, les communiqués de presse exercent des fonctions beaucoup plus complexe que d’habitude. Les communiqués de presse émis par la Commission européenne sont parfois ouvertement politique et non seulement dirigé vers les journalistes, le principal public cible. La Commission utilise non seulement les communiqués de presse à des fins informatives, mais aussi comme outils pour justifier l’UE et la Commission.

Comment la presse juge la Commission Juncker un an après ?

Alors que la Commission Juncker s’est contentée d’une courte présentation en ligne et en anglais pour faire son bilan un an après, la presse elle s’y intéresse peu et se montre assez critique sur la Commission « plus politique », « de la dernière chance »…

Manque d’intelligibilité de l’organisation et du fonctionnement de la Commission Juncker

En dépit des bonnes intuitions de Jean-Claude Juncker concernant la politisation de la Commission européenne, la communication plus efficace auprès des citoyens européens et l’usage stratégique de son monopole d’initiative, le premier bilan de la Commission Juncker est décevant selon Le Figaro.

L’organisation de la Commission avec des Vices Présidents transversaux n’a pas eu d’effet notable d’autant que « la plupart des Commissaires maîtrisent mal leurs sujets, voire, desservent leur mission par leur passé national ». Mais surtout, le fonctionnement de la Commission ne parvient pas à convaincre, l’institution « n’a pas su mettre son organisation au service de ses objectifs ».

Déjà difficile à suivre pour les non-initiés, la Commission européenne revue par Juncker est devenue difficile à comprendre même pour les spécialistes.

Manque de lisibilité entre l’agenda des priorités et la gestion des crises

Face à une succession de crises sans précédent entre la Grèce, le Brexit, le TTIP, les Luxleaks et surtout les migrants, « la Commission n’est pas visible sur les autres dossiers et semble manquer d’ardeur » selon l’AFP.

Hormis la politique concurrentielle avec la Commissaire danoise Margrethe Vestager, les autres priorités politiques à l’agenda de l’institution ne sont pas aussi lisibles : la création du marché numérique unique, l’union de marchés de capitaux ou l’union de l’énergie sont complexes et offrent peu d’avancées fortes.

Entre les dossiers inscrits à l’agenda et les crises à gérer, la ligne directrice de l’activité de la Commission européenne n’est pas de toute clarté.

Manque de visibilité entre les annonces et les premiers résultats

Parmi les nombreuses annonces de Jean-Claude Juncker, le plan d’investissement demeure la plus importante. Aujourd’hui, la plupart juge que le plan Juncker est mal en point : « il ne sera pas le levier de croissance et d’emplois promis, à cause notamment du soutien trop timide des États membres ».

Mais surtout, avec toutes ces annonces, « Jean Claude Juncker n’est pas parvenu à changer le regard des Européens sur la Commission ». Tant que les résultats ne seront pas visibles, les Européens demeureront sceptiques voire pessimistes.

La communication de la Commission européenne va devoir rapidement passer des effets d’annonce initiaux à la promotion des résultats bénéfiques et concrets pour les citoyens.

Au total, un an après, tout jugement est forcément prématuré, mais faute d’une meilleure compréhension de la Commission Juncker tant dans son organisation et son fonctionnement que dans ses choix, et d’une meilleure visibilité des premiers résultats, le jugement de la presse restera critique.

Transparence sur les budgets des agences de communication prestataires de la Commission européenne

À partir du portail de la transparence de l’UE, les budgets annuels en 2014 des principales agences de communication prestataires de la Commission européenne sont accessibles en ligne. Quel est l’état du marché de la communication européenne ?

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Mostra, toujours 1e agence en termes de contrats et de budgets en 2014 : 19 302 539 € et 137 contrats

L’agence indépendante bruxelloise conserve sa première place du palmarès des agences de communication en termes de volume tant de contrats que de budgets :

  • 3,3 millions avec la DG Politique régionale ;
  • 3,3 millions avec la DG Agriculture, dont 1,2 million pour une campagne de pub TV sur la nouvelle Politique agricole commune ;
  • 2,1 millions avec la DG Recherche et innovation, dont 1 million pour le magazine Horizon ;
  • 1,9 million avec la DG Environnement, dont 1,3 million sur la campagne « Generation Awake » ;
  • 1,3 million avec la DG ECHO, Aide humanitaire et protection civile ;
  • 1,2 million avec la DG Emploi ;
  • 1,1 million avec la DG Affaires intérieure sur une communication autour des migrations et de l’asile ;
  • 1 million avec la DG Entreprises et Industrie…

Havas, l’agence de la campagne de communication corporate de la Commission européenne : 10 contrats et 13 090 075 €

Le groupe Havas entre dans le palmarès par la grande porte avec le gain de la campagne de communication corporate de la Commission européenne pour un budget total de 13 millions d’euros.

ESN : 11 175 429 € et 51 contrats

L’agence bruxelloise European Service Network conserve une place de choix dans le palmarès, notamment grâce à :

  • 6,2 millions avec la DG Communication, dont 5,6 pour la gestion du centre de contacts « Europe Direct » ;
  • 1,7 million avec la DG Elargissement sur une action de communication sur la pré-adhésion ;
  • 700k avec la DG Recherche et innovation…

Tipik : 10 853 057 € et 86 contrats

L’agence indépendante bruxelloise Tipik stablise ses budgets à 10 millions, malgré une perte de 7 millions par rapport à l’année dernière :

  • 1,9 million avec la DG Recherche et innovation, essentiellement pour la gestion de la base de données Cordis ;
  • 1,9 million avec la DG Emploi, affaires sociales et inclusion ;
  • 1,4 million avec la DG Marché intérieur et services ;
  • 1,2 million avec la DG Affaires intérieures ;
  • 1,1 million avec la DG Justice…

Media Consulta : 5 933 068 € et 14 contrats

Passant de 16 à 6 millions en 1 an, l’agence a perdu près des trois quart de ses contrats entre 2013 et 2014.

  • 2,6 millions avec la DG Elargissement, dont 1,9 pour une campagne de sensibilisation à l’élargissement ;
  • 2,4 millions avec EuropeAid, la DG Développement et coopération, dont 1,4 pour l’Année européenne 2015 du développement…

Gopa-Cartermill : 5 690 442 € et 12 contrats

L’agence est la seule – hormis Havas – qui voit ses budgets avec l’UE progresser entre 2013 et 2014, notamment :

  • 3 millions avec la DG Energie
  • 1,2 million avec EuropeAid, la DG Développement et coopération

JWT : 1 343 781 € et 2 contrats

L’agence du groupe WPP dispose de 2 contrats avec la Commission européenne en 2014 :

  • 943k avec la DG Justice sur une campagne de sensibilisation aux droits relatifs au crédit à la consommation ;
  • 400k avec la DG Santé sur une campagne anti-tabac.

Le groupe WPP est également représenté par TNS-Opinion avec un budget total de 16 millions d’euros pour les Eurobaromètres et 300k avec Ogilvy.

Au total, l’ensemble des budgets des principales agences de communication s’élève en 2014 à 84 millions d’euros et près de 400 contrats – soit une baisse à la fois de 10 millions d’euros et 200 contrats par rapport à 2013.

Comment faire progresser la transparence de l’Union européenne ?

À l’occasion de la conférence annuelle de la communication européenne, EuropCom, la médiatrice de l’UE Emily O’Reilly s’est exprimée sur la transparence de l’UE : « un devoir ou une opportunité ? »…

1. Lutter contre le manque de transparence des administrations européennes – la principale inquiétude

Ce seul enjeu représente à lui seul 20 à 30% de tous les dossiers gérés par le médiateur européen. Mais la transparence ne s’arrête pas aux refus des institutions européennes de donner accès aux documents de l’UE.

Mieux communiquer sur les processus de prise de décision de l’UE ou s’attaquer au système des « revolving doors » constituent également des priorités.

Songeons qu’un Commissaire sur trois (9 sur 26) de la Commission Barroso 2 ayant quitté leur poste en 2014 ont pris des responsabilités dans des grandes entreprises.

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2. Développer le lobbying de la transparence

Le lobbying joue un rôle important dans les sociétés démocratiques, selon la médiatrice de l’UE. L’initiative de la nouvelle Commission Juncker en matière de transparence des réunions des décideurs de l’institution avec des lobbyistes va dans la bonne direction.

Les prochaines étapes consisteraient à promouvoir un registre de la transparence obligatoire pour que les lobbyistes inscrivent leurs activités et à fixer des règles d’or pour le « pantouflage » dans le privé ; même si la plupart des Etats-membres ne dispose ni de l’un, ni de l’autre.

3. Respecter les règles de l’ONU en matière de lobbying du tabac

La médiatrice de l’UE formule des recommandations pour améliorer les pratiques de lobbying du tabac. L’élaboration des politiques de santé publique doit être aussi transparente que possible, surtout en matière de tabac.

Les pratiques des lobbyistes du tabac sont très sophistiquées et le plus souvent leurs méthodes sont « sous le radar ». Du coup, la Commission européenne devrait publier pro-activement toutes les réunions avec les lobbyistes du tabac ainsi que les minutes de ces réunions.

4. Renforcer la transparence sur le TTIP

Le partenariat transatlantique de commerce et d’investissement (TTIP) affectera la vie des 500 millions d’Européens ; l’enjeu est considérable.

La Commission européenne publie maintenant plus de documents (position papers, fact sheets, legal texts) sur la négociation en cours avec les Etats-Unis. Puisque les US n’ont pas opposé de véto contre la publication de chapitres du TTIP par l’UE, la Commission européenne devrait être encouragée à faire davantage de transparence, en publiant notamment les réunions avec les lobbyistes à l’échelle des négociateurs.

5. Lancer la transparence des Trilogues

Comme les présentent Contexte « Les « trilogues », ces raccourcis de la démocratie européenne » représentent la nouvelle frontière de la transparence dans l’UE.

Réunions informelles, derrière des portes closes, entre les 3 institutions exécutives de l’UE pour conclure des « deals », les trilogues se sont énormément développés : 1 500 trilogues ont eu lieu au cours des 5 dernières années.

En conclusion, la médiatrice de l’UE précise qu’elle a demandé aux trois institutions exécutives de l’UE leurs opinions sur les enjeux des trilogues et de la transparence, ainsi que sur leurs pratiques en matière de transparence des réunions (listes, comptes-rendus, documents). Les réponses sont attendues pour début novembre 2015…