Comprendre l’importance de l’indifférence des citoyens européens face à l’Union européenne

Faire le bon diagnostic pour agir efficacement devrait constituer la mission première de la communication européenne. Aujourd’hui, les termes choisis par Marc Abélès semblent bien poser les choses : « l’Europe représente (…) une sorte de planète éloignée que les citoyens scrutent avec appréhension, parfois avec résignation ». Comment comprendre cette « distance planétaire » entre les Européens et l’Union européenne ?

L’analyse erronée de la pseudo-thèse d’une attitude de rejet ou d’opposition des citoyens européens face à l’UE

Virginie Van Ingelgom, dans « Mesurer l’indifférence. Intégration européenne et attitudes des citoyens » effectue un travail salutaire d’analyse de l’opinion des Européens vis-à-vis de l’UE.

Rien n’est plus faux que l’« hypothèse d’un changement dans les attitudes des citoyens européens envers l’intégration européenne au cours du temps, en termes à la fois de rupture du « consensus permissif » et de passage au « dissensus contraignant » ».

Certes, la période du consensus permissif correspondant à une large approbation en faveur du processus d’intégration, qui aurait prévalue des années 1950 jusqu’au début des années 1990 ne souffre aucune erreur d’analyse et d’interprétation.

Mais, la thèse du « dissensus contraignant » qui fait l’analyse d’une période de remise en question du projet d’intégration européenne depuis le début des années 1990 ne se confirme pas dans les faits.

Le postulat faux consiste à considérer que la visibilité accrue de l’Europe aurait entraîné une politisation progressive des enjeux européens et par là une polarisation des attitudes des citoyens européens, marquée par une augmentation des opinions défavorables, au fil de la consolidation du processus d’intégration européenne.

Au total, la lecture basée sur le diptyque « rupture du consensus permissif et montée de l’euroscepticisme » n’offre pas la grille d’analyse pertinente de la réalité de l’opinion publique européenne.

L’analyse féconde de la thèse d’une attitude d’indifférence et d’indécision des citoyens ordinaires face à l’UE

À partir des données de l’Eurobaromètre, Virginie Van Ingelgom « démontre que le changement principal au sein des attitudes dans l’ère post‑Maastricht est un déplacement vers une attitude indifférente et indécise » des citoyens ordinaires. Un phénomène massif resté pourtant jusqu’à présent peu étudié.

Les mouvements profonds de l’opinion publique européenne ne correspondent pas à l’imagerie d’Epinal de peuples européens frappés par l’euroscepticisme. Bien au contraire, à mesure que le soutien des citoyens à l’UE diminue, la catégorie indifférente et indécise augmente, et cela plus rapidement que les réponses qui manifestent un rejet.

Au total, « loin d’être devenus majoritairement plus eurosceptiques, les citoyens sont à présent principalement, et avant tout, plus ambivalents et indifférents face à l’intégration européenne », conduisant à un aplatissement de la distribution des attitudes des citoyens vis-à-vis de l’UE.

La mobilisation supposément accrue des médias autour des enjeux européens, ainsi que les discours souvent réitérés sur l’avènement d’une période marquée par l’euroscepticisme contribuent probablement à expliquer pourquoi les observateurs ont conclu à une augmentation de la polarisation des attitudes des citoyens

Le choix des instruments de mesure et des temporalités, portent également leur part de responsabilité dans l’aveuglement relatif des « européanistes » face à ce qui se déroulait pourtant sous leurs yeux.

En conclusion, Virginie Van Ingelgom estime que « la non‑polarisation des citoyens à l’égard de l’intégration européenne n’est pas en soi un phénomène nécessairement négatif pour l’ordre politique européen, aussi longtemps qu’elle reflète l’acceptation passive du jeu politique ».

Plus que l’euroscepticisme, c’est sans doute l’indécision et l’imprédictibilité qui en découle qui contraignent aujourd’hui les décideurs européens et l’indifférence génératrice d’apathie qui menace la légitimité du processus d’intégration européenne.

Au total, pour revenir à la mission première de la communication européenne, il n’a jamais été aussi important aujourd’hui de faire la bonne analyse des attitudes des citoyens européens entre l’impasse de la polarisation – le rejet et l’opposition ne progressent pas – et l’importance de l’indifférence de plus en plus majoritaire.

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