Déficit démocratique de l’UE : la faute aux médias ou à l’Europe ?

Deux perspectives se superposent : la tradition issue de la communication politique qui met l’accent sur les pratiques des institutions européennes, notamment auprès des correspondants de presse à Bruxelles ; et l’approche héritée de l’économie politique qui se concentre sur le pouvoir des medias, via leur traitement des transformations européennes. Autrement dit, entre les institutions européennes et les medias en Europe, qui peut favoriser l’européanisation des informations ?

Le déficit démocratique de l’UE, est-ce la faute des médias d’information nationaux ?

Le plus souvent, l’argument du déficit démocratique de l’UE est démontré par la faible performance des médias nationaux d’information générale à couvrir l’actualité de l’UE. L’argument est entendu : le faible investissement des principaux médias dans les affaires européennes, en particulier à Bruxelles, contribuerait à creuser le déficit démocratique de l’UE.

Pourtant, selon Tore Slaatta, auteur de l’analyse : “Europeanization and the news media”, si l’on observe la manière dont les médias d’information nationaux couvrent l’actualité des institutions politiques nationales, la présence des enjeux européens est indéniable.

La présence de l’actualité européenne dans les médias d’information nationaux est visible dans le traitement de l’actualité des représentants nationaux, pour ce qui concerne l’échelle européenne (les ministres nationaux lors des Conseils des ministres européens, le chef d’Etat ou de gouvernement national lors des Conseils européens…).

La différence dans la manière dont les médias d’information nationaux « sur-jouent » ou « sous-jouent » la couverture européenne est donc corrélée par un ensemble de facteurs : la présence de l’Europe dans les discours des responsables politiques nationaux, la compétence et l’intérêt de chaque média à refléter les différentes positions européennes en fonction des opportunités liées aux sujets ou aux opinions publiques.

En prenant en compte ces considérations, il devient évident que la dominance du référentiel national dans la couverture des affaires européennes ne doit pas conduire à faire porter le déficit démocratique de l’UE par les médias d’information nationaux.

Le déficit démocratique de l’UE, est-ce la faute des institutions européennes ?

L’argument inverse mettant en ligne de mire les institutions européennes est également très éculé : une meilleure transparence des institutions européennes réparerait le déficit démocratique de l’UE.

Sans aucun doute, cette idée est juste. Mais, cela produit une croyance mythique auprès des professionnels de l’information européenne que le problème de la légitimité de l’UE pourrait être résolu par plus d’information sur l’UE.

Il n’y a sans doute rien de mal à ce que les institutions européennes améliorent leur politique de transparence et leur stratégie proactive d’information mais cela conduit à produire une information « neutralisée », selon Tore Slaatta.

Une information neutralisée, c’est-à-dire tentant de créer un consensus sur l’UE, alors que les intérêts en Europe et les sociétés européennes n’ont pas une représentation consensuelle/neutre de l’UE.

Les médias d’information nationaux ne sont pas des médiateurs neutres de l’information européenne. Bien au contraire, les médias d’information nationaux se structurent en fonction de réalités économiques et politiques dans la société, et participent consciemment ou inconsciemment à la discussion sur ce que devrait être l’UE.

Autrement dit, la tendance à vouloir renforcer la transparence (souhaitable) des institutions européennes au nom du déficit démocratique conduit à produire un consensus artificiel (délétère).

Le journalisme politique européen, des standards irréalistes ?

L’européanisation des informations ne peut pas venir uniquement d’une meilleure couverture de la politique européenne par les médias nationaux d’information, puisque le prisme national est le référentiel dominant, encore pour longtemps. Ni non plus d’ailleurs uniquement par une politique de transparence et d’ouverture des institutions européennes.

Il faut aller au-delà, s’intéresser aux médias non généralistes, à la presse spécialisée ou professionnelle qui produit des discours critiques sur les affaires européennes à travers leur propre prisme.

Finalement, selon Tore Slaatta, l’européanisation des informations ne peut sans doute pas venir des « voix dominantes du pouvoir » – que ce soit les classes politiques nationales ou les médias d’information nationaux généralistes – mais plutôt des discours marginalisés au sein des sociétés européennes (et donc de la presse spécialisée et professionnelle), qui ne s’expriment pas dans le système politique et les discours médiatiques dominants.

En conclusion, l’européanisation de l’information consiste non pas à vouloir transformer les médias d’information nationaux ou les institutions européennes (quoique des évolutions soient souhaitables) mais à changer son regard sur l’information, afin de distinguer les discours marginaux au-delà des voix dominantes.

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