Archives mensuelles : février 2013

Comment communiquer sur un récit européen de l’UE ?

Avec la fin des idéologies, ce sont également les grands récits historiques qui ont été engloutis. Tandis que chaque nation – en fonction d’écoles historiographiques et de valeurs morales/idéologiques – réécrit au fil du temps sa propre histoire, comment l’Union européenne peut-elle se raconter ?

Incarner l’UE avec les Pères fondateurs pour rendre l’histoire de l’UE communicative

Évidemment, il ne s’agit pas de revenir au temps de l’école des Annales sous la IIIe République qui sacralisait quelques figures historiques de grands hommes pour raconter un récit national unificateur et construisant une identité nationale.

Par ailleurs, la vaste enquête réalisée en 2003 par Philippe Joutard et Jean-Noël Jeanneney sur le « bon usage des Grands Hommes en Europe » concluait qu’il n’existe pas aux yeux des Européens de Grands Hommes européens, le socle national demeurant incontournable.

Pour autant, le choix de conserver quelques personnalités « historiques » qui incarne la construction européenne permet à la fois de fixer les faits et de cerner l’intentionnalité et la subjectivité d’une construction humaine de l’UE.

Commémorer la mémoire de l’UE pour rendre l’histoire de l’UE intersubjective

Avec la réapparition des grandes personnalités historiques – inusables pour l’apprentissage et la transmission de l’histoire, à condition de les regarder avec la bonne distance critique – c’est également une nouvelle figure qui s’impose : le héros qui se sacrifie laisse sa place à la victime qu’il faut commémorer.

Cette évolution éthique « de la crucifixion à la pietà » ouvre la voie, sinon à une mémoire européenne, du moins à l’européanisation de la mémoire, avec des velléités de créer à l’échelle européenne des rites de commémoration, des lieux de mémoire, voire des musées.

Communiquer via des reconstitutions « live » d’événements historiques de l’UE

Puisque l’histoire se raconte ou plutôt se vit de plus en plus via des reconstitutions « live » d’événements historiques passés qui touchent un public de plus en plus large, l’UE aurait tout intérêt à réfléchir à quelques transcriptions :

Comment s’inspirer des reconstitutions grandeur nature et en costumes des batailles napoléoniennes en Russie ou ailleurs dans un contexte européen contemporain ?

Comment transposer à l’échelle de l’UE des parcs d’attraction à thèmes tels que le Puy du Fou autour de l’histoire vendéenne ?

Comment restituer des grands moments de l’UE comme la signature de traités fondateurs tels que l’ont proposé des expérimentations dans les médias sociaux (la reconstitution de la 2e guerre mondiale sur Twitter @RealTimeWWII est suivie par 273K followers) ?

Ainsi, l’enjeu du récit européen de l’UE réside dans sa capacité à transmettre une histoire à la fois communicative donc incarnée, interpersonnelle donc mémorielle et vécue donc « live ».

Déficit d’efficacité : nouveau déficit démocratique de l’UE ?

L’affaire est entendue selon un récent sondage BVA sur « les Français et l’Europe » : le divorce entre les Français et l’Europe est consommé dans l’opinion publique. Au-delà d’un désenchantement historique à l’égard de l’UE – auquel on a finit par s’habituer en le couvrant de l’expression pudique de « déficit démocratique » – on assiste à un cinglant désaveu : 75% des Français juge l’UE inefficace. « Spectaculaire par son ampleur, ce désaveu est aussi terriblement consensuel » selon BVA. Après le « despotisme éclairé » sinon « légitimé par les résultats », du moins toléré en raison de ses succès, n’assiste-t-on pas à un rejet profond de l’UE à cause d’un déficit d’efficacité ?

Le déficit démocratique « à l’ancienne » de l’UE : un déficit réputationnel (défauts de visage et de clivage) => déficit d’image et désintérêt médiatique

Jusqu’à présent, le déficit démocratique de l’UE consistait à reconnaître une carence liée au défaut de visage et de clivage dans une démocratie représentative européenne imparfaite, et pour cause :

  • les visages des personnalités européennes sont méconnus, on ne connaît pas les postes et encore moins leurs détenteurs ;
  • les clivages autour des décisions européennes sont relativement opaques, on ne sait pas qui pèse sur le cours des choses et où sont les camps politiques.

De ce déficit « d’image » de l’UE découlerait un désintérêt des médias et donc des citoyens.

Selon une tribune parue sur Slate « Parlement européenne : déficit médiatique = déficit démocratique », ce serait « là que réside le principal déficit démocratique de l’UE aujourd’hui : dans l’absence d’intérêt médiatique véritable pour les institutions et les politiques de l’UE ».

Autrement dit, le déficit démocratique de l’UE « à l’ancienne », c’est considérer qu’un défaut d’image justifierait l’apathie électorale des Européens envers l’UE. En somme, un simple problème d’abstention.

Le nouveau déficit démocratique de l’UE : un déficit imputationnel (défauts de responsabilité et d’efficacité) => déficit de résultats et désaveu civique

Dorénavant, le déficit démocratique de l’UE consistera à imputer des défauts de responsabilité et d’efficacité à un système politique européen technocratique :

  • la responsabilité de l’UE est toujours tôt ou tard retrouvée et dénoncée dès qu’une décision ou un crise alerte l’opinion publique. La capacité imputationnelle de l’UE (cf. « the blame Brussels ») est le dénominateur commun des États en Europe à la moindre difficulté ;
  • l’efficacité des politiques publiques européennes est également suspectée, qu’il s’agisse des décisions interminables de sommets en sommets européens pour sauver l’euro ou des budgets européens réduits à la portion congrue.

De ce déficit de résultats – une première pour la construction européenne – se déduira le désaveu des citoyens, comme l’indique le sondage BVA et le confirmera la campagne pour les élections européennes qui sera dominée par les partis de protestation (cf. l’indifférence mortelle à l’Europe des élites politiques risque de nourrir l’euroscepticisme).

Autrement dit, le nouveau déficit démocratique de l’UE, c’est affirmer qu’un défaut de résultats expliquera le désaveu civique des Européens envers l’UE : un grave problème de légitimation.

Ainsi, l’évolution du déficit démocratique de l’UE d’un simple défaut de réputation de l’UE (désenchantement) à une faute imputée à l’UE (désaveu) menace d’autant plus profondément les fondations de l’UE qu’elle est ancrée dans l’opinion publique.

Quand la Commission européenne dépasse les 100 000 Followers

Cette semaine, la Commission européenne @EU_Commission inscrite sur Twitter depuis le 21 juin 2010 se félicite de dépasser les 100 000 followers, faisant ainsi la course au champion européen toute catégorie @@euHvR (aujourd’hui @eucopresident), le président du Conseil européen. Au-delà du bilan officiel sur les chiffres clés, attardons-nous sur les profils des abonnés et les contenus emblématiques…

Quels sont les profils des abonnés à la Commission européenne ?

Au-delà de l’origine géographique ou des données approximatives sur l’âge ou le sexe, si l’on regarde le nuage de mots clés constitué par les bios des abonnés au compte Twitter de la Commission européenne, force est de constater que quelques profils se dégagent :

  • principalement, des étudiants internationaux intéressés par la politique, le business, le monde, les news…
  • également, des journalistes ;
  • enfin, des consultants, le plus souvent experts en affaires européennes.

EU_Commission_wordcloud_bio_followers

Si l’on s’intéresse à la dimension interactive (interactions et discussions), force est de constater que le compte de la Commission européenne demeure encore très « bruxello-centré » :

  • c’est avec @BarrosoEU, le président de la Commission européenne – faut-il le préciser – que le compte discute le plus ;
  • globalement, les interactions se font pour 25% avec des comptes situés en Belgique… bien loin de la dispersion géographique des followers.

Quels sont les contenus les plus viraux de la Commission européenne ?

Sur les derniers mois, le recrutement moyen est de 5 500 followers par mois pour une publication moyenne de 7 tweets par jour. Quelques pics révèlent particulièrement les contenus qui intéressent le plus :

  • 1er pic en termes de recrutement de nouveaux abonnés autour des stages ouverts pour les étudiants. Le 8 janvier 2011, le compte @EU_Commission a gagné 2 862 Followers ;
  • 2e pic en termes de viralité lors de la crise liée à la campagne de communication destinée à recruter des femmes dans les carrières scientifiques. Le tweet tentant de gérer la crise a été retweeté 358 fois… davantage que celui sur le prix Nobel de la paix attribué à l’UE.

EU_Commission_most_retweet

En conclusion, le compte de la Commission européenne sur Twitter intéresse d’abord les étudiants puis les journalistes et se fait connaître – non par sa capacité à nouer du dialogue avec ses publics en ligne – mais lors de crise liée à la communication de l’institution en ligne.

Quelles sont les conséquences de l’indifférence à l’Europe sur la communication politique française ?

Dans « Monnet for Nothing? France’s Mixed Europeanisation », Olivier Rozenberg analyse le contraste entre l’engagement discursif pro-européen de la plupart des élites françaises et l’expression régulière de réticences dans la société et les partis de protestation. Pourquoi à mesure que l’UE exerce un poids croissant dans les politiques publiques, la communication politique française semble réduire la place ou le soutien accordé à l’UE ?

L’indifférence de l’UE = le silence dans la communication des partis politiques de gouvernement

La relation nuancée des partis politiques de gouvernement à l’UE invite à dresser plusieurs constats ambivalents autour d’une relation indifférente à l’UE : le « consensus permissif » s’effrite et le silence s’installe dans la communication gouvernementale.

Les données sur la perception de l’UE dans l’opinion publique via les enquêtes Eurobaromètres indiquent que le sentiment pro-européen continue de dominer en dépit d’une érosion à long terme et d’une progression de l’« euro-indifférence ».

Résignation et désintérêt sont plutôt les attitudes majoritaires des citoyens ordinaires français envers l’UE, que ce soit le fait d’un manque de visibilité réelle de l’Europe dans la vie ordinaire ou que l’autonomisation de l’UE au détriment de l’État-nation ne soit pas un sujet de préoccupation.

Par conséquent, le « consensus permissif » d’une opinion publique indifférente laissant faire la construction du projet d’intégration par les élites politiques s’effrite au sein de l’opinion publique.

La relative continuité de l’engagement européen des partis de gouvernement qui alterne au pouvoir depuis une trentaine d’années se paie au prix d’un affaissement de la communication gouvernementale sur l’Europe. Ce silence a un coût.

L’indifférence à l’UE = l’euroscepticisme et la radicalisation dans la communication des partis politiques de protestation

A rebours d’une communication sur l’Europe réduit au sein des partis politiques de gouvernement, l’euroscepticisme et la radicalisation progresse dans les partis politiques de protestation.

D’une part, l’Euroscepticisme se développe dans la communication des partis politiques :

  • euroscepticisme traditionnaliste de l’extrême droite opposé au projet de construction européenne ;
  • euroscepticisme souverainiste de la droite républicaine, éclaté entre familles politiques néo-gaullistes ;
  • euroscepticisme « naturaliste » du mouvement faisant l’éloge de la de chasse, du localisme et de la vie rurale ;
  • euroscepticisme de gauche des mouvements « alter-mondialisation », décuplé depuis l’échec du référendum de 2005.

Même si l’UE n’a pas changé de façon spectaculaire la manière de faire de la politique en France – les opinions dans les partis politiques et chez les citoyens vis-à-vis de l’UE se structurant toujours en fonction d’attitudes fondées sur le/l’(anti)libéralisme culturel et économique – l’instrumentalisation de ces opinions par les partis non-gouvernementaux jouent au détriment de l’UE.

Dans un écho « ironique » à l’indifférence molle à l’UE au sein des partis de gouvernement, la radicalisation sur des questions non européennes tend à alimenter l’euroscepticisme dans la société par capillarité et sédimentation progressives.

Au total, le choix de la plupart des dirigeants politiques de mener une stratégie d’évitement des questions européennes conduit à ce que les clivages internes européennes au sein de l’opinion publique ne sont pas activés par l’offre politique. S’installe ainsi une « indifférence mortelle » des élites politiques qui risquent de nourrir l’euroscepticisme lors des prochaines échéances électorales européennes.

Années européennes, l’archétype des campagnes de communication de l’UE ?

Tant par leurs qualités que par leurs défauts, les Années européennes sont à ce jour les campagnes de communication de l’UE les plus avancées. Quelles en sont les principales caractéristiques ?

Qualités des campagnes « Année européenne »

Selon les évaluations réalisées par la Commission européenne (voir notamment le rapport de Deloitte pour l’Année européenne 2011), plusieurs enseignements relativement positifs peuvent être tirés :

Mise à l’agenda européen : Les Années européennes se sont révélés être des instruments efficaces pour mettre chaque année une question politique européenne au sommet de l’agenda politique européen. Le niveau élevé de participation pendant une période limitée permet de mobiliser un soutien politique et d’ouvrir la voie à de plus grands engagements politiques de l’UE.

Mobilisation de réseaux européens et nationaux ad hoc : Les Années européennes réussissent à créer une mobilisation sur un domaine d’intervention de l’UE entre les institutions européennes, les États membres, des acteurs de la société civile, des think tanks et au niveau régional / local.

Sensibilisation sélective de parties prenantes : Les Années européennes conçues en vue de faire connaître, débattre et échanger des points de vue sur un thème spécifique parviennent à sensibiliser des parties prenantes ciblées dans la société civile.

Autrement dit, les qualités reconnues des Années européennes résident dans leur capacité à attirer l’attention d’acteurs publics européens et nationaux ainsi que quelques parties prenantes sectorielles sur un sujet mis à l’agenda pendant la durée de la campagne.

Défauts des campagnes « Année européenne »

A demi mot, derrière les évaluations se dessinent également des défauts récurrents que les Années européennes ne parviennent pas à résoudre :

Synergies sous optimales avec les Etats-membres : Les Années européennes portées par une campagne de communication conçue en central par l’UE achoppent à créer de véritables synergies efficaces entre les programmes nationaux et européens, et entre les projets phares financés par l’UE et les autres actions laissées à la discrétion des Etats-membres.

Retours d’expérience et valeur ajoutée de long terme limités : Les Années européennes ont certes tendance à avoir plus de valeur ajoutée par rapport aux interventions individuelles des États membres mais n’arrivent pas pour autant à jouer un rôle important dans la création d’une dynamique politique européenne contribuant à des changements dans les politiques publiques européennes.

Démultiplication médiatique et impact réduits : Les Années européennes, surtout faute de moyens, ne réussissent pas intéresser les médias et à déployer une activité suffisante pour être relayée auprès du grand public, grand absent de ces campagnes.

Autrement dit, les défauts des Années européennes portent dans leur incapacité à attirer le soutien plein et entier des administrations nationales et l’attention des médias sur un sujet qui passe relativement inaperçu du grand public.

Au travers des évaluations des Années européennes se trouvent poser l’archétype des campagnes de communication de l’UE avec des qualités de mobilisation et de mise à l’agenda au niveau européen et des défauts de démultiplication, notamment médiatique, limitée à l’échelle nationale et locale.