Consultation européenne des citoyens : comment la plateforme participative « fabrique » des publics européens en ligne ?

La consultation européenne des citoyens réalisée en 2009 par la Commission européenne est le sujet de la thèse de Romain Badouard (non disponible en ligne). Comment le dispositif participatif mis en ligne, visant à organiser des débats publics transnationaux autour d’enjeux européens, parvient à formater la participation, à « fabriquer » des publics européens en ligne et à légitimer paradoxalement une expression de volontés d’action européenne ?

Le dispositif participatif est formaté par la plateforme

Fruit d’un compromis entre des exigences institutionnelles, des contraintes technologiques et des compétences humaines, la consultation européenne des citoyens est marquée par une « asymétrie entre les ambitions politiques affichées et les choix techniques réalisés ».

En somme, le design contredit la posture : l’ambition de mener des débats transnationaux se limite à des contributions cantonnées à l’échelle des États, relevant d’une agrégation d’espaces publics nationaux.

La fabrique des publics européens en ligne

« Les acteurs qui prennent part à la consultation font valoir des stratégies bien différentes de celles des concepteurs ». Plutôt que d’échanger et voter sur des propositions préférentielles, les stratégies des acteurs sont multiples.

Les stratégies des acteurs autour de la plateforme participative européenne fabriquent des publics européens en ligne :

  • Des publics « euro-centriques » ou « citoyennistes » valorisent la participation pour la participation et prennent part à l’expérience des échanges dans les forums ;
  • Des publics thématiques détournent l’expérience participative et mobilisent des réseaux en dehors de la plateforme pour voter sur des propositions pour que leurs sujets gagnent en visibilité.

Autrement dit, au-delà des publics « généraux » qui jouent le jeu en restant dans les règles de la plateforme, d’autres publics « thématiques » – autant des réseaux structurés que des militants amateurs – distordent le cadre de la participation et « engendrent des dynamiques originales d’européanisation des publics.

L’originalité de la consultation européenne des citoyens repose sur une européanisation des actions à travers un « détournement » de la plateforme, une sorte d’usage non-prévu, de nouveau scénario qui transgresse le cloisonnement national des débats.

Principale conclusion de la consultation européenne des citoyens : « la divergence entre les propositions d’activités dans la plateforme et les pratiques de mobilisation des internautes » fabrique des publics européens en ligne.

La légitimation paradoxale de la consultation européenne des citoyens

L’ultime conclusion de la consultation européenne des citoyens consiste à en tirer un bilan paradoxal. Ce n’est pas la réussite d’une procédure consultative (que les publics ont détournés et transgressés) mais bien plutôt le succès d’un espace pour une expression publique, d’une scène qui reconnaît de ce fait l’échelon européen comme cadre d’action et de mobilisation.

Autrement dit, avec la consultation européenne des citoyens, si la Commission européenne échoue à organiser une délibération transnationale (l’institution européenne n’a pas créé l’espace public qu’elle entendait), elle réussit à « instituer des espaces dans lesquels s’expriment des volontés d’action politique à l’échelle européenne » (l’institution européenne créé de nouveaux publics européens en ligne).

Au total, la thèse de Romain Badouard est triplement intéressante tant pour ses conclusions sur le « formatage » d’une plateforme participative que sur la « fabrique » des publics européens en ligne ou sur la légitimation paradoxale de volontés d’action européenne.

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