Archives mensuelles : mai 2010

Si l’Europe était une marque, serait-elle capable de fédérer une communauté de marque ?

Deux étudiants de l’ESCP Europe – Valérie Enjolras et Benjamin Hoguet – viennent de soutenir un mémoire dirigé par Andreas M. Kaplan – spécialiste du marketing public – sur l’applicabilité du concept de communauté de marque à l’Europe.

Dans le prolongement du livre de Georges Lewi : « L’Europe, une mauvaise marque ? », leur démarche – reposant sur une douzaine d’entretiens – consiste à utiliser les outils et les concepts du marketing, notamment la « communauté de marque », définie par :

  • un sentiment d’appartenance créant l’opposition entre membres et non membres du groupe ;
  • des rites et des traditions, renforçant la célébration d’une histoire et d’une culture communes ;
  • une obligation mutuelle d’entraide, soutenant la relation sur le long terme ;
  • une co-création de valeur.

L’Europe institutionnelle, un épouvantail à communautés

Premier résultat de leur enquête, l’impossibilité de créer une communauté de marque autour de l’Europe institutionnelle :

  • aucune émotion pour faire rêver au « pays des technocrates » ;
  • aucune réappropriation d’un projet d’ailleurs mal défini et de toute façon frappé par le déficit démocratique ;
  • aucune incarnation d’un leadership légitime pour parler au nom de l’Europe ;
  • aucune segmentation des cibles à l’échelle d’un continent aussi divers ;
  • aucune coordination des relais de toute façon défaillants (les médias, les élus, les enseignants).

L’Europe expérientielle, comme expérience au quotidien

Second résultat de leur enquête, la possibilité de développer une communauté de marque autour de l’Europe expérientielle :

  • adhésion par les expériences vécues de l’échange et de la diversité (programmes de mobilité, vie associative, multilinguisme…) ;
  • utilisation des produits comme bénéfices concrets et tangibles (l’euro, des fruits et légumes sains et abordables…) ;
  • appropriation par des récits plaçant le citoyen au centre et partagés entre citoyens ;
  • fidélisation par un lien sensible et affectif conciliant « moi-je » et « moi-nous ».

Recommandations pour fédérer une communauté de marque autour de l’Europe expérientielle :

  • susciter l’apparition de tribus européennes (lien éphémère et implication multi-niveau) à partir des expérimentations des produits
  • favoriser la mobilité et les échanges (jumelages des villes et des écoles, événements culturels) ;
  • densifier le réseau associatif autour d’une plateforme collaborative afin d’une part, de renforcer la visibilité des associations pour en faire des marques reconnues et d’autre part, de concrétiser et récompenser les collaborations de bénévoles ;
  • raconter des « histoires » afin de créer du sens et du lien avec une production audiovisuelle européenne concentrée sur la vie des Européens ;
  • réconcilier les deux Europe avec une communication tissant le lien entre les tribus et l’Europe institutionnelle et permettant d’affirmer que ces expériences ont été rendues possibles par la marque Europe.

Un mémoire (PDF) de grande valeur pour davantage porter notre regard sur cette Europe expérientielle.

Compte-rendu du Petit-déjeuner Débat de la Sorbonne au Sénat : « Et si l’Europe était une marque… » : quelles sont les promesses de l’Europe ?

Ce matin, les étudiants du master « Communication Politique et Sociale » ont organisé au Sénat un « Petit-déjeuner Débat de la Sorbonne » sur le thème « Et si l’Europe était une marque… » (voir le dossier de presse)…

Intervention de Noëlle Lenoir, ancien ministre des Affaires européennes : « l’Europe n’est pas populaire parce qu’elle ne parle pas au cœur »

Le constat sur la « fracture européenne » demeure :

  • l’Europe est perçue comme élitiste et suscite des réactions populistes ;
  • l’Europe déploie une transparence technocratique et non démocratique ;
  • l’Europe est le bouc-émissaire facile des responsables politiques nationaux ;
  • l’Europe est frappée par l’insuffisant leadership institutionnel.

Pourtant, l’Europe est un héritage porté par une mémoire collective forte et un destin séculaire qui réalise de nombreux projets.

Quels sont les vecteurs d’une meilleure communication ?

  • l’éducation pour donner les moyens de décoder les messages ;
  • la formation, notamment dans les écoles de journalisme ;
  • la télévision pour toucher la population ;
  • l’Internet, espace sans frontière géographie et sans barrières sociales.

S’il fallait donner une promesse à l’Europe : « tous ensemble en avant » pour faire vivre les valeurs de solidarité et de fraternité.

Intervention de Fabienne Keller, Sénateur du Bas-Rhin : « ce qui est acquis en Europe n’existe plus »

Pour les citoyens, l’acquis de la construction européenne est oublié dès qu’il n’est plus menacé.

L’Europe, c’est comme le vélo, si l’on arrête, on tombe.

S’il fallait une promesse ? La mobilité heureuse : les gares sont les lieux où l’on s’embrasse le plus.

Intervention de Nicolas Vanbremeersch (Versac) : « s’abriter derrière les marques des programmes concrets pour communiquer des expériences fortes »

Retour sur les fondamentaux du marketing pour décrypter la « marque Europe » :

  • l’objectif d’une marque, c’est de fabriquer une différence : pour l’Europe, quelle est-elle ?
  • le bénéfice d’une marque, c’est de créer du lien : pour l’Europe, quel est-il ?
  • l’utilité d’une marque, c’est de rassurer et de se reconnaître, quid pour l’Europe ?

Quelles solutions ?

  • développer un nouvel imaginaire autour de l’Europe qui protège pour fédérer les Européens ;
  • développer un réseau d’utilisateurs de l’Europe autour d’une expérience forte telle que la mobilité ;
  • développer une communication concrète autour des programmes plutôt qu’autour des valeurs.

Intervention de Renaud Soufflot de Magny, Chef de la représentation permanente de la commission européenne à Paris : « réfléchir sur le « branding » de l’Europe pour réconcilier les Européens avec l’UE »

Les enseignements des Eurobaromètres :

  • il n’y a pas d’europhobie mais de l’indifférence, sauf chez les plus jeunes et les plus âgés ;
  • si l’Europe était une personne, elle serait un Monsieur bedonnant qui radote pour les femmes mais un adolescent qui se cherche pour les hommes.

Les pistes de la communication européenne :

  • changer d’attitude : cesser de rougir sans cesse, mais s’affirmer ;
  • accepter la différence entre les temps des médias et du politique et arriver à dramatiser les processus institutionnel ;
  • composer avec la culture du consensus, forte au sein des institutions ;
  • se montrer modeste (la Commission européenne dispose d’une budget de 50 cents par citoyens et par an) ;
  • jouer avec les démultiplicateurs d’opinion, que sont les responsables politiques ;
  • personnaliser les prises de paroles, notamment à l’échelle locale ;
  • revitaliser avec davantage d’émotion, comme avec le clip « let’s come together ».

La promesse de l’Europe ? Sa devise : « Unie dans la diversité ».

Intervention d’Olivier Le Saec, Professeur à l’Institut d’Etudes Politiques de Lille : « cesser l’approche positiviste de l’utopie d’une communication résolvant tous les problèmes de lien social »

Toute la politique de communication de l’UE repose sur une approche positivisite qui estime que la communication peut résoudre tous les problèmes de lien social.

La communication révèle des problèmes non résolus.

Les Etats-membres, les collectives territoriales, les élus qui ne communiquent pas assez sur l’Europe n’appliquent pas le principe de subsidiarité qui consisterait à ne laisser l’Europe communiquer que quand ils ne peuvent pas le faire.

La promesse de l’Europe : une communauté de destin face au néant.

Petit-déjeuner Débat de la Sorbonne au Sénat : « Et si l’Europe était une marque… »

Invité par les étudiants du master « Communication Politique et Sociale » à animer le « Petit-déjeuner Débat de la Sorbonne » : « Et si l’Europe était une marque… » organisé ce matin au Sénat, je publie le document que j’avais rédigé pour présenter le sujet avant de revenir plus longuement sur un compte-rendu à proprement dit…

D’où vient cette idée – à la mode – de mélanger marketing et Europe ?

Particulièrement à la mode, notamment avec la « marque France », le souhait des étudiants de sortir des sentiers battus (cf. les lieux communs du déficit démocratique et de la « fracture européenne » pour reprendre le titre du rapport Herbillon) pour tenter d’appliquer les concepts et les outils du marketing aux administrations publiques s’expliquer par la conjonction de 2 tendances fortes, que nous connaissons tous :

1. désacralisation de la parole publique

  • Nouvelle exigence de la communication publique : la proximité, il n’y a plus de piédestal,
  • Nouvelle approche par population de citoyens-usagers en fonction de leurs attentes.

2. évolution récente du marketing rend possible se rapprochement

  • passage d’une logique « produit » (la consommation de masse et la pub-réclame) à une orientation « relation-client » (la co-création de valeurs).

Qu’est-ce que ça donne pour la « marque Europe » ?

Il s’agit de poser rapidement quelques constats tirés d’un dossier spécial dans Stratégies n°1546 du 21 mai 2009 « l’Europe, une image de marque à revitaliser » :

Des bénéfices client… insuffisamment populaires

  • l’Europe ne mobilise qu’une cible aisée et âgée
  • il suffit de penser à l’abstention aux élections européennes

Des valeurs européennes… insuffisamment porteuses

  • « la paix, c’est comme vendre des frigos à des eskimos », sénateur Jean-Claude Gaudin
  • l’Europe de Bruxelles reste encore parfois une marque bouc-émissaire

Une personnalité… qui n’est même plus incarnée par des symboles, retirés du traité de Lisbonne

  • la complexité du mode de fonctionnement de l’UE rend la communication européenne quasi uniquement « BtoB », entre spécialistes
  • l’Europe n’a pas d’émetteur unique

Le Parlement européen a tenté d’introduire le concept de marque pour résoudre le problème identifié par George Lewi, auteur du livre « l’Europe, une mauvaise marque » :

  • proposition de résolution du Parlement européen en avril 2005 sur la mise en œuvre de la stratégie d’information et de communication de l’Union européenne : l’objectif de consacrer une partie des moyens d’information à la promotion de la « marque » Europe » n’a finalement pas été conservé dans la résolution finale ;
  • résolution sur le projet de budget général de l’Union européenne pour l’exercice 2009 : l’objectif prévoyant de débloquer 6 millions d’euros lorsque la Commission européenne définira une «marque UE» reconnaissable qui pourra être utilisée par la Commission en matière de communication n’a finalement pas été mis en œuvre.

Conclusion, celle du dossier Stratégies, la « marque Europe », il s’agit d’un « chantier titanesque mais indispensable ».

Comment former les fonctionnaires européens et organiser la communication de l’UE dans les médias sociaux ?

Alors que la Commissaire responsable de la communication – Viviane Reding – confirme dans un courrier à la communauté des communicants web de l’UE qu’« Internet doit être un élément essentiel de nos efforts pour communiquer » et que n’importe quel fonctionnaire européen est une « ambassadeur de l’UE sur le web, comment l’UE peut-elle organiser sa communication dans les médias sociaux ?

Concevoir et construire l’e-présence : le community building

La lecture de l’article « Les métiers du social media marketing » de Fred Cavazza permet de mieux aborder les responsabilités relatives à la présence d’une marque au sein des médias sociaux. Quelles sont-elles ?

1. Déterminer les objectifs de l’e-présence, selon l’Altimeter Group :

  • Ecouter et démarrer des conversations : ”Foster Dialog“
  • Solliciter des avocats : ”Promote Advocacy“
  • Faciliter l’entre-aide : ”Facilitate Support“
  • Stimuler l’innovation participative et la co-création :”Spur Innovation“

2. Délimiter l’e-présence : les plateformes communautaires/sociales à intégrer et à éviter

À titre indicatif, le Parlement européen est selon la home du site institutionnel actuellement sur Facebook, Twitter, MySpace, Youtube et Flick’r.

Comment organiser la démarche de community building ?

  • Identifier des membres-clés qui permettrait de toucher rapidement des communautés ciblées à forte valeur ajoutée ;
  • Fédérer ces membres-clés autour d’initiatives communautaires associées à la stratégie de la marque ;
  • Enrôler et motiver d’autres membres en allant les recruter.

Comment identifier ces membres-clés ?

  • les veilleurs : ceux qui repèrent les informations sur les réseaux ;
  • les passeurs : ceux qui diffusent ;
  • les filtreurs : ceux qui sélectionnent et contextualisent ;
  • les interprètes : ceux qui reformulent et commentent.

A plus d’un titre, les fonctionnaires actuellement engagés sur les réseaux sociaux tels que certains signataires de la lettre ouverte de la communautés des communicants web de la Commission européenne comme Dick Nieuwenhuis ou Tony Lockett peuvent remplir cette mission.

Cartographier et mesurer l’e-reputation : le community monitoring

Là encore, avant de s’engager à proprement parler, il convient de mener un travail de community monitoring qui consiste à assurer une veille et une analyse des conséquences de la présence d’une marque au sein des médias sociaux. Quelles sont-elles ?

Cartographier l’information : la veille

  • Surveiller les discussions et la présence de la marque au sein des différents médias sociaux ;
  • Répertorier les informations publiées par les équipes internes (qui a publié quoi) de même que celles publiées par les membres de la communauté ;
  • Identifier les personnes en interne qui sont à l’origine des informations et les sensibiliser à la propagation de celles-ci sur les médias sociaux (page Wikipedia…).

Mesurer l’information : l’analytics

  • Définir et mettre en œuvre des indicateurs-clés en rapport avec les objectifs pré-définis ;
  • Fournir une interprétation de ces données ainsi que de leur évolution et s’assurer que les décisionnaires ont pris connaissance des données et de leur interprétation.

Rédiger des chartes pour former les fonctionnaires européens au web social et formaliser l’organisation de la communication de l’UE dans les médias sociaux

Afin de mener la formation des fonctionnaires européens au web social et l’organisation de la communication de l’UE sur les médias sociaux, les communicants de la Commission européenne pourrait traduire leur tâche par la rédaction de chartes : une charte d’utilisation des réseaux sociaux à destination des fonctionnaires européens (que nous appelions de nos vœux la semaine dernière) et une charte d’engagement de la marque vis à vis de ces communautés.

Ainsi, une fois cette étape incontournable de formation et d’organisation de la communication – et à ce stade il ne s’agit « pas nécessairement de plusieurs emplois à plein temps, mais plutôt de plusieurs rôles qui seront endossés par différentes personnes à des moments-clés » – il sera alors possible de convaincre les autorités de l’impérieuse nécessité de mener à proprement parler du community management, c’est-à-dire :

  • Assurer l’animation et la modération quotidienne des différentes communautés où la marque est présente;
  • Assurer le reporting en fonction des indicateurs clés préalablement choisis et fournir une interprétation des tendances et de l’état d’esprit de la ou des communautés (réceptive, méfiante…) ;
  • Sensibiliser les équipes internes et les accompagner dans leur appropriation des ces supports.

Réponse de Viviane Reding à la lettre ouverte des communicants web de la Commission européenne

Après la lettre ouverte publiée par la communauté des éditeurs et webmasters des sites de la Commission européenne en janvier dernier, pour améliorer la communication de l’UE sur le web, le fait qu’il ait une réponse de Viviane Reding – la Commissaire titulaire du portefeuille de la communication – confirme que le web devient vraiment une priorité…

« Internet doit être un élément essentiel de nos efforts pour communiquer »

Dans son courrier, Viviane Reding estime que « la communication doit devenir une partie intégrante du processus des politiques de tous les Commissaires ». Suivant ce plan, « Internet doit être un élément essentiel de nos efforts pour communiquer », ce qui signifie notamment 2 chantiers :

Moderniser et rationaliser le portail Europa, suivant les principes suivants :

  • une approche centrée sur l’utilisateur,
  • un langage et des messages clairs,
  • une image de marque cohérente.

S’engager dans les médias sociaux, à condition de respecter les règles suivantes :

  • faire partie d’une stratégie de communication cohérente,
  • être basée sur une solide analyse coûts/bénéfices,
  • être menée par des personnels bien formés.

Quels efforts en priorité : refonte du portail Europa ou engagement dans les médias sociaux ?

Entre les 2 chantiers, Tony Lockett – un autre communicant de l’UE – pose le « faux dilemme » des priorités, :

  • Faut-il mieux servir les personnes qui viennent chez nous à la recherche d’informations avec une refonte de nos sites web Europa ?
  • Faut-il saisir l’occasion de toucher de nouveaux publics que nous n’atteignons pas actuellement en faisant une utilisation ciblée des médias sociaux ?

En définitive, que faut-il retenir de la réponse de Viviane Reding ?

Que le courrier est bavard pour passer de la paumade avec des engagements théoriques généreux mais un peu court sur la volonté concrète, dans un contexte de « croissance zéro des ressources humaines en communication » ?

Dick Nieuwenhuis – le communicant européen qui avait publié la lettre ouverte sur son blog – se félicite que « potentiellement tous les fonctionnaires de la Commission puissent être des ambassadeurs » :

  • pour certains, cela sera limité à expliquer à leurs familles et amis ce qu’ils font ;
  • pour d’autres – qui sont déjà nombreux à être en privé sur Twitter et Facebook – cela signifie de pleinement s’engager dans les médias sociaux.

Ainsi, à la manière des paquebots qui manœuvrent en haute mer, la Commission met le cap vers une meilleure communication de l’UE sur le web.