Archives mensuelles : janvier 2010

Protection de la vie privée sur Internet : approche juridique pour la Commission européenne VS approche communicante pour la CNIL

A l’occasion de la 4e édition de la journée annuelle de la protection des données – initiée par le Conseil de l’Europe en 2007 pour expliquer quelles données personnelles sont collectées et à quelles fins, ainsi que les droits et responsabilités des citoyens – une comparaison des actions de la Commission européenne et de la Commission nationale Informatique et Libertés (CNIL) en France révèle un fossé dans leurs approches respectives de cet enjeu…

Approche juridique pour la Commission européenne : annonce de la modernisation de la directive sur la protection des données

Lors de la journée de la protection des données, la Commission européenne publie un communiqué annonçant la modernisation prochaine de la règlementation de l’UE en matière de respect de la vie privée.

« Si l’innovation est une composante importante de la société contemporaine (publicité comportementale, réseaux sociaux ou puces intelligentes), elle ne doit cependant pas aller à l’encontre du droit fondamental des individus au respect de la vie privée. Nous devons maintenant nous assurer que les règles générales en matière de protection des données sont en phase avec la technologie et aussi complètes que l’exige le traité de Lisbonne, » a déclaré Viviane Reding, actuellement responsable de la société de l’information et des médias et Commissaire désignée à la justice, aux droits fondamentaux et à la citoyenneté.

Approche communicante pour la CNIL : lancement d’initiatives destinées à donner aux jeunes les bons réflexes pour contrôler leur image sur Internet

Lors de la journée de la protection des données, la CNIL lance une campagne « Protéger son image sur le web, ça s’apprend ! » destinée aux jeunes adolescents très présents sur les blogs et les réseaux sociaux afin de « promouvoir des bonnes pratiques et développer les bons réflexes des jeunes utilisateurs d’Internet »:

  • une édition spéciale de Mon Quotidien, le journal d’actualité des 10-14 ans, sur le thème « Protège ta vie privée sur Internet » ;
  • un éventail Les Incollables, intitulé « Ta vie privée, c’est secret ! » ;
  • un clip vidéo sur nos traces laissées sur Internet, consultable sur www.jepubliejereflechis.net

Ainsi, à l’occasion d’une même journée, les approches de la Commission européenne et de la CNIL pour se limiter à cet exemple français révèlent des pratiques en matière de communication très éloignées…

Comment la communauté web de la Commission européenne peut-elle « exploiter la puissance d’Internet pour une meilleure communication » : les recommandations du Guide des médias sociaux de Brian Solis ?

Alors que le cabinet du Président de la Commission européenne semble avoir donné une « réponse positive à la lettre ouverte » de la communauté des éditeurs et des webmasters au président Barroso et aux futurs Commissaires, selon le compte Twitter de Dick Nieuwenhuis, le fonctionnaire européen ayant publié ce document sur son blog, quelles sont les recommandations de Brian Solis dans son Guide des médias sociaux ?

Quels sont les intentions de la communauté web de la Commission européenne en matière de communication sur les médias sociaux?

Dans la lettre ouverte, la communauté web de la Commission européenne formule toute une série d’intentions pour interagir avec les citoyens européens :

  • encourager / autonomiser le personnel de la Commission dans l’utilisation des réseaux sociaux pour communiquer aussi sur leur travail via blogs, réseaux sociaux, etc…
  • être conscient que la participation à des réseaux sociaux n’est pas un « one-shot » et nécessite une présence continue qui nécessite un investissement fort en ressources humaines ;
  • faire un usage intelligent des plates-formes de réseaux sociaux (Facebook, Twitter, etc…) pour assurer un maximum de visibilité à l’UE et offrir de nouvelles possibilités d’engagement du public avec la Commission ;
  • utiliser judicieusement les possibilités de mise en réseau d’Internet, en tenant compte des préoccupations quant à la protection de la vie privée, droit d’auteur, et durabilité.

Quels sont les recommandations de Brian Solis, dans son guide des médias sociaux, à destination des professionnels de la communication ?

Brian Solis, auteur du blog PR 2.0 théorise la convergence des PR, des Médias traditionnels et des Médias Sociaux, à condition pour les professionnels de la communication de suivre quelques principes :

  • Préconisation n°1 : Nous sommes tous des individus et nous devrions aborder les conversations sur le web en tant que tels.

L’intention de la communauté web de l’UE de s’engager personnellement s’inscrit pleinement dans cette démarche.

  • Préconisation n°2 : Ce qui fait la différence entre des conversations authentiques et les discours unilatéraux, c’est que les conversations nourrissent les communautés et que les communautés sont des marchés de relations. Les relations, nouvelle monnaie d’échange sur les médias sociaux, nécessitent une attention et une contribution des deux parties afin de durer et prendre de la valeur.

L’intention de la communauté web de l’UE de nourrir une présence continue dans la durée pour entretenir ces relations et pleinement dialoguer avec les citoyens poursuit également cette disposition.

  • Préconisation n°3 : Dans un monde social, notre engagement est un privilège. L’amitié, la confiance et la fidélité en sont les récompenses. Avec les médias sociaux, nous gagnons les relations, et la réputation, que nous méritons.

L’intention de la communauté web de l’UE de susciter un engagement des citoyens européens et d’améliorer l’image de marque de l’UE par leur engagement et leur participation active dans les médias sociaux en veillant à respecter les codes propres à chaque communauté, à apporter une valeur ajoutée dans les conversations et à faire preuve de compréhension vis-à-vis des internautes indique leur pleine compréhension des réseaux sociaux.

Ainsi, une lecture croisée entre les intentions de la communauté du web de la Commission européenne et les recommandations de Brian Solis révèle une profonde convergence de vues qui ne peut que laisse à penser que le passage à l’action – le plus urgemment – sera un succès.

De l’importance de l’exemplarité dans les actes : le cas des nominations à la Commission européenne

A force d’analyser la stratégie de communication de l’UE – visant à bâtir un discours s’appuyant sur des preuves concrètes de l’action de l’UE dans la vie quotidienne des citoyens européens – on en oublierait presque l’importance des actes de l’UE et de leur exemplarité pour la crédibilité et l’image de l’UE…

Les nominations à la Commission européenne : des enjeux et des actes

La nouvelle Commission européenne devrait prochainement entrer en fonction et les nominations à différents niveaux (les Commissaires, les porte-parole de la Commission, les membres des cabinets) sont autant d’enjeux d’exemplarité :

  • enjeux liés aux nationalités : afin de respecter les souverainetés nationales, la distribution des portefeuilles répond à une règle précise avec un Commissaire pour chaque Etat membre. Néanmoins, selon Euractiv, « une note interne souligne que de nombreux cabinets sont trop orientés en termes de nationalité, avec une prédominance trop évidente de fonctionnaires issus du même pays que le commissaire qui les a sélectionné ». Le cabinet de José Manuel Barroso apparaît plutôt déséquilibré avec 6 Portugais dans une équipe composée jusqu’ici de 14 membres.
  • enjeux liés aux langues : afin de respecter le multilinguisme, l’équipe du service de porte-parole devrait répondre le plus possible au plurilinguisme. Néanmoins, la tendance à l’hégémonie linguistique de la langue anglaise semble confirmée selon Euractiv, : « 11 des 26 porte-parole déjà désignés pour la prochaine Commission européenne sont anglo-saxons ».
  • enjeux liés aux genres : afin de respecter la parité, l’équilibre entre les hommes et les femmes devrait être l’un des objectifs comme le cabinet de José Manuel Barroso, composé de sept hommes et de sept femmes. Bizarrement, ceux qui sont les plus déséquilibrés sont ceux des commissaires femmes. La liste actuellement non finalisée des membres de cabinet compte 112 hommes et seulement 67 femmes.

Les intérêts de l’exemplarité comme « démarche » en matière de communication

Au travers des nominations, la Commission européenne peut saisir l’occasion pour mener une véritable « démarche » d’exemplarité, qui peut se révéler très judicieuse en matière de communication :

  • donne force et cohérence à la démarche prescriptive liée à l’exercice de responsabilité : respect du « je fais ce que je dis », indissociable de toute bonne gouvernance ;
  • crédibilise le discours de la Commission auprès de ses cibles internes et externes : respect dans les actes des engagements pris dans les discours ;
  • créé une culture interne transversale mobilisatrice et porteuse.

Attention à ne laisser place ni à l’hégémonie d’une stratégie de communication survalorisant en façade en filtrant les difficultés ni à l’usage excessif du qualificatif « exemplaire » qui peut être un repoussoir trop moralisateur.

Ainsi, veiller à l’exemplarité des actes que sont les nominations semble une démarche plus que souhaitable pour la communication de la Commission européenne.

Vers une nouvelle pédagogie sur l’Europe en France

Dans une interview au Figaro du 22 janvier, le secrétaire d’État aux Affaires européennes, Pierre Lellouche, annonce des initiatives :

  • « Je veux avec le ministre de l’Éducation nationale, Luc Chatel, développer la pédagogie de l’Europe dans les collèges et les lycées en délivrant une éducation civique européenne. »
  • « Je veux mettre en place une université de l’Europe pour qu’il y ait en France un lieu où tous les citoyens, toutes les forces vives de la nation pourront s’informer sur les institutions et les mécanismes européens qui peuvent leur servir, sur leurs interlocuteurs et les aides dont ils peuvent disposer. »

Reprise de la proposition de créer des cours d’éducation civique européenne pour les jeunes scolarisés

Dans un avis du Comité économique et social européen sur « Comment concilier dimension nationale et dimension européenne dans la communication sur l’Europe » sollicité par la Présidence française de l’UE et adopté le 10 juillet 2008, la rapporteur Béatrice Ouin « recommande au niveau européen, de mettre à disposition un socle commun de connaissances » rassemblant l’essentiel de l’histoire et des valeurs européennes pour former les jeunes.

Quel modèle pour l’éducation civique européenne ?

Alors qu’en France, la formation européenne est marquée principalement par l’enseignement des langues vivantes et les échanges d’enseignants et de classes, selon Sabine Strauss, Directrice adjointe du département des séminaires au Centre international de Formation européenne dans « Enseignement et construction européenne », 2 types de programmes seraient envisageables :

  • un cours d’éducation civique européenne traiterait des objectifs originaux et des grandes lignes de l’unification européenne ;
  • une instruction civique européenne serait à insérer dans chaque matière, notamment l’histoire et les sciences sociales.

Quel contenu pour l’éducation civique européenne ?

Pour Raymond Toraille, Inspecteur Général honoraire de l’Éducation Nationale, dans « Pour une éducation civique européenne », 3 objectifs de connaissances seraient à développer selon le niveau de scolarité :

  • valoriser les valeurs de la démocratie ;
  • informer sur le fonctionnement global de l’Union européenne ;
  • favoriser la mise en pratique du respect des valeurs et de la connaissance des institutions européenne dans la vie quotidienne.

Relance d’une ambition de créer une Université de l’Europe pour former les Européens à l’Europe

Utopie formulée par le regretté Bronislaw Geremek dans une tribune publiée dans Le Monde du 19 janvier 2006 « Pour une Université de l’Europe », cette université qu’il proposait d’installer à Strasbourg dans les locaux du Parlement européen :

  • serait une occasion de revenir aux fondamentaux de l’idéal classique : le retour à un véritable humanisme européen qui symbolise l’esprit européen ;
  • serait un lieu d’excellence où s’unirait harmonieusement enseignement pluridisciplinaire de haute qualité et recherche à vocation universelle.

Pourquoi lancer une Université de l’Europe ?

Pour Pauline Gessant, Vice-Présidente des JEF-Europe dans Le Taurillon, les raisons seraient :

  • Forger une conscience et une identité communes ;
  • Donner à la mobilité étudiante un nouveau moyen de réalisation grâce à la mise en place de ce réseau universitaire européen ;
  • Donner corps à l’idée de mobilité des chercheurs au sein de l’espace européen de la recherche ;
  • Rétablir le lien entre « Université et Europe » alors que ce sont aujourd’hui les universités américaines qui attirent une majorité d’étudiants.

Comment éviter le risque de s’adresser uniquement aux élites ?

Selon Bronislaw Geremek dans une interview à Touteleurope, « l’université ne concerne pas uniquement les élites, mais l’Europe tout entière. Si nous n’arrivons pas à changer le système éducatif en Europe, à lui donner une dimension européenne, à retrouver la force d’innovation qui caractérise l’esprit européen, l’Europe ne se fera pas. Il faut que les citoyens se retrouvent dans la construction européenne, qu’ils voient dans quels domaines c’est une chance pour eux. Or l’éducation est au centre de la vie quotidienne, il n’existe pas de sujet plus populaire, plus universel. »

Avec ces 2 initiatives, le Secrétariat d’Etat aux Affaires européennes reprend la 3e des 10 propositions pour l’avenir de l’Union européenne proposées lors des « Consultations européennes des citoyens » : inciter l’apprentissage d’une langue européenne dès la maternelle en :

  • créant un cours d’éducation civique européenne, mis en pratique par un dialogue hebdomadaire avec une classe partenaire via les NTIC ;
  • organisant un échange par cycle scolaire ;
  • créant un mensuel européen distribué dans les écoles et mis en ligne sur le site de l’UE.

Ainsi, une nouvelle pédagogie sur l’Europe longtemps attendue s’annonce en France.

Faut-il un Commissaire européen à la communication ?

Le débat sur la place qu’il convient d’accorder à la communication au sein de la Commission européenne est relancé aujourd’hui avec la publication d’un court billet de Martin Westlake (en anglais) : « Communicating Europe ». Quels sont les arguments des « pros » et des « antis » Commissaire à la communication ?

Pour les antis : la communication de l’UE n’étant pas une politique, un Commissaire n’est pas nécessaire

Ce point de vue est défendu notamment par Cédric en rebond de mon interview dans Le Taurillon, que je reproduits intégralement : « La communication n’est pas une politique mais un outil. Par conséquent, l’idée d’un commissaire dédié à la communication, ou encore l’idée d’un chapitre « communication » dans le programme politique annuel de la Commission, sont des hérésies. L’UE en tant qu’institution ne devrait pas communiquer, mais promouvoir des valeurs, promouvoir le débat. Les mots importent. Une institution qui assume le mot « communiquer » est suicidaire, elle donne à ses adversaires l’occasion rêvée d’une accusation de propagande. C’est aux politiques (politiciens) européens de communiquer. Communiquer est pour eux une nécessité personnelle quotidienne, pour accéder au pouvoir ou s’y maintenir. »

Ne partageant pas cet argument, je considère qu’il est primordial d’articuler de manière optimale communication des institutions européennes et communication des responsables politiques européens, mon billet d’hier « Pour une communication européenne à la fois institutionnelle et politique » précise ces deux registres :

  • approche institutionnel devant se limiter à son champ d’intervention sur le long terme ;
  • approche politique devant pleinement prendre possession de son terrain d’expression quotidienne.

Pour les pros : l’UE a besoin d’une politique de communication stratégique, un Commissaire est indispensable

Ce point de vue est défendu de manière paradoxale par Martin Westlake, puisqu’il s’appuie sur une tribune d’Alastair Campbell portant sur le conflit en Afghanistan pour en appliquer les arguments à l’Union européenne.

L’argument de base d’Alastair Campbell est que, « tandis que les soldats peuvent gagner des guerres, l’échec dans la bataille des cœurs et des esprits peut les perdre. » Il tire trois leçons du conflit en Irak qu’il invite à prendre en compte dans celui en Afghanistan :

  • d’abord, « il faut prendre au sérieux la stratégie de communication » ;
  • ensuite, « dans une alliance multinationale, il faut internationaliser la communication » au sein des différents systèmes politiques nationaux ;
  • enfin, « il faut porter une attention constante sur la consistance des arguments ».

Appliquée à l’Union européenne, la réflexion montre l’importance d’une politique de communication stratégique et consistante, portée par un Commissaire dédié, permettant à l’UE de lui faire prendre toute sa place dans les médias avec ses propres arguments.

Ainsi, la décision de José Manuel Barroso de ne pas attribuer de portefeuille à la communication au sein du Collège des Commissaires fait l’objet de vifs échanges, qui devraient connaître d’autres rebondissements…